Ingénierie Patrimoniale

Ingénierie Patrimoniale | 01-06-2018

LA SOCIETE CIVILE … PAS QU’IMMOBILIERE !

Des atouts de la société civile de portefeuille pour la gestion et la transmission de valeurs mobilières
Si le recours à une forme sociétaire dans le cadre de la gestion de son patrimoine peut être (fortement) recommandé, pour des raisons diverses et variées, l’utilisation efficace de la palette de formes sociétaires mise à notre disposition est un objectif loin d’être rempli.

Par coutume, la quasi-totalité des futurs associés se cantonne à la création d’une Société Civile Immobilière (SCI), alors même qu’aucun texte ne les oblige à réduire l’activité de la société civile aux seules activités immobilières.

Rappelons-le : la SCI n’existe pas ; c’est une société civile, qualifiée dans un second temps d’immobilière par la nature de son activité lorsqu’elle est réduite à l’immobilier d’un point de vue opérationnel.
Si, là encore par tradition, les rédacteurs des statuts étendent aujourd’hui très largement – parfois trop – l’objet social de la société à une multiplicité d’autres activités, spécialement celles de gestion mobilière, ces possibilités demeurent largement inexploitées par les associés. Ceux-ci se cantonnent en effet à la gestion de l’immobilier, le concept réducteur de société civile « uniquement » immobilière étant bien trop ancré dans l’inconscient collectif.

Pourtant, c’est là abandonner volontairement un outil particulièrement efficace pour la transmission de son patrimoine mobilier. Nous le mentionnerons pour la suite des développements sous l’appellation généraliste de « portefeuille de valeurs mobilières ».
Le titulaire de ce portefeuille aura certainement, dans un objectif de préparer la transmission de son patrimoine, le souhait de transmettre cet actif à ses enfants, d’une part, tout en permettant à son conjoint (par exemple, mais plus largement à toute personne dont il souhaiterait notamment protéger le budget) de profiter des gains du portefeuille, d’autre part. Le démembrement de ce portefeuille, d’origine légale par le biais de l’option conférée par la loi pour l’usufruit au moment de la succession (en présence d’enfants tous communs), ou par la voie conventionnelle (donation avec réserve d’usufruit successif au profit du conjoint, donation entre époux ouvrant une option en usufruit ou encore testament) semble a priori répondre aux objectifs fixés.

I – Détention directe de portefeuille

En détention directe, le portefeuille de valeurs mobilières peut supporter un démembrement sans difficulté. Mais les conséquences que cet état emporte sur la gestion du portefeuille dépendait de la qualification juridique à retenir pour en définir la nature. L’arrêt Baylet l’a affirmé sans nul doute possible, le portefeuille de valeurs mobilières est une universalité de fait, c’est-à-dire un« ensemble de biens formant une collection ou une entité juridique complexe prise globalement comme un bien unique et soumise à un régime particulier » (Cass., 1ère Civ., 12 nov. 1998).

A- Traitement civil et fiscal
En conséquence de cette qualification et de la prise en compte en tant que bien unique, les gains ou plus-values réalisés au sein du portefeuille sont traités comme suit :

• Au plan civil : la plus-value réalisée au niveau du portefeuille constitue l’agrégation des plus-values et moins-values réalisées individuellement par chacun des titres le composant. Le nu-propriétaire a naturellement vocation à bénéficier de la plus-value réalisée dans son ensemble par l’enveloppe que constitue le portefeuille. En parallèle, l’usufruitier pourrait-il réclamer la perception de la plus-value réalisée par chacun des titres ? Certainement non, puisqu’en réalité il n’y pas lieu de dissocier les plus-values internes au portefeuille et celle du portefeuille lui-même : il s’agit du même gain. Dès lors que la plus-value en cause est ainsi inséparable du portefeuille, celle-ci ne peut constituer un fruit dont l’usufruitier saurait se prévaloir lors de la cession d’un ou plusieurs titres.

• Au plan fiscal : la date de réalisation du démembrement est la clef de répartition du système de taxation :

o Avant le 3 juillet 1991 : la plus-value est imposable entre les mains du nu-propriétaire en prenant pour base taxable la différence entre la valeur en pleine propriété des titres cédés et :
– Le prix d’acquisition des titres acquis à titre onéreux ;
– Ou la valeur des titres utilisée comme base pour la liquidation des droits d’enregistrement lors du démembrement préalable des titres

o Après le 3 juillet 2001 : la plus-value reste en principe imposable au nom du nu-propriétaire, sauf option expresse réalisée conjointement par l’usufruitier et le nu-propriétaire (sauf, curieusement, en cas de transmission par voie de donation). L’assiette de l’impôt différera ici selon la qualité des droits que chacun des deux membres du démembrement aura détenu dans le portefeuille :
– Si ni l’usufruitier ni le nu-propriétaire ne détenait avant le démembrement le portefeuille en pleine propriété (exemple typique du portefeuille dépendant d’une succession), la plus-value est calculée par différence entre la valeur de cession des titres et :
– Le prix d’acquisition de la pleine propriété des titres acquis à titre onéreux ;
– Ou la valeur des titres utilisée comme base pour la liquidation des droits d’enregistrement lors du démembrement préalable des titres acquis à titre gratuit
– Dans le cas contraire (celui notamment de la donation avec réserve d’usufruit), la plus-value est calculée par différence entre le prix de cession des titres et la somme de la valeur d’acquisition initiale du portefeuille en pleine-propriété, majorée de la différence entre la valeur de la nue-propriété retenue dans l’acte de donation et celle en nue-propriété au jour de l’acquisition initiale dudit portefeuille, calculée sur la même base de démembrement (autrement dit, il s’agit de l’accroissement de valeur de nue-propriété entre ces deux dates).
Par ailleurs, la détention directe du portefeuille démembré implique la notion de répartition des pouvoirs entre usufruitier et nu-propriétaire sur l’actif.

B- Répartition des pouvoirs entre usufruitier et nu-propriétaire

L’usufruitier a principalement un pouvoir de gestion du portefeuille, découlant logiquement de sa qualification en universalité de fait. Au niveau du portefeuille, l’usufruitier ne réalise qu’un simple acte d’administration en remplaçant des titres cédés par l’acquisition de nouveaux titres, quand bien même à l’échelle inférieure, au niveau des titres, il s’agirait d’un acte de disposition théoriquement réservé au nu-propriétaire. De là pèse sur l’usufruitier une véritable obligation de remploi, a priori peu important qu’il cède par sa volonté des titres, ou que ceux-ci arrivent à leur terme : il doit conserver la substance du portefeuille qui reviendra fatalement in fine, par l’écoulement inexorable du temps, au nu-propriétaire.

Néanmoins, ceci ne conduit pas à une obligation de gestion active par l’usufruitier, déterminée par une recherche de performance ; l’essentiel est pour lui, selon la jurisprudence actuelle, de gérer « raisonnablement » le portefeuille, quitte parfois à en modifier le profil de gestion.
Attention toutefois au cas de la coexistence de droits en pleine propriété et de droits démembrés coexistant sur le portefeuille, par exemple lorsque le portefeuille dépendant de la communauté et qu’une moitié en pleine propriété de celui-ci venait à tomber en succession : pour éviter toute difficulté, mieux vaudra procéder au partage de ce portefeuille.

La détention démembrée en direct d’un portefeuille apparaît donc plutôt complexe, et soulève des problématiques de qualification qui ne sont pas sans conséquences sur la gestion du portefeuille. En parallèle, le recours à la société civile pourra, si ce n’est être plus avantageuse, au moins proposer une solution alternative présentant certains intérêts.

II. Détention du portefeuille par une société civile démembrée

En premier lieu, l’interposition de la société civile permettrait de supprimer toute question relative au débat de distinction entre fruits et produits issus du portefeuille, puisque seule la société en est titulaire : la pleine propriété est intégralement maintenue entre les mains de la société, faisant abstraction du démembrement pouvant porter sur les parts de celle-ci. On retrouve là un schéma déjà classiquement employé en matière immobilière, destiné notamment à séparer la propriété du bien et les pouvoirs sur le bien.

A. Qualification et traitement des gains
Néanmoins, sur le terrain de la qualification, le recours à la société civile ne permet pas totalement de dépasser tout débat doctrinal. Si en effet la distinction entre fruits et produits n’a plus lieu d’être, ce n’est que pour mieux voir surgir celle entre dividendes et réserves au niveau de la société. En effet, les gains produits par le portefeuille et porté au résultat de la structure pourraient être légitimement revendiqués par l’usufruitier des parts de la société.

Les dividendes distribués par la société sont sans nul doute possible des fruits que l’usufruitier a vocation à percevoir. Cela concernera particulièrement les plus-values réalisées au sein du portefeuille, constatées lors des cessions de titres réalisées par arbitrage. Le truchement de la société civile vient ici renverser l’appréhension initiale de la plus-value par le nu-propriétaire au profit de l’usufruitier, puisqu’elle transforme une plus-value, donc un produit, en dividende au niveau de la société civile, donc en fruit. L’intérêt pour l’usufruitier est ici indéniable, d’autant plus lorsque les titres du portefeuille sont des titres de capitalisation et non des titres de distribution.

Mais la solution souffre tout de même d’une difficulté inhérente à la construction sociétaire, à plusieurs niveaux :
• La détermination du résultat de la société doit-elle prendre en compte les plus-values réalisées par le portefeuille ? La question reste à trancher, mais dans le cas positif, il faudra encore que la société dispose de liquidités pour pouvoir verser un dividende ; ce qui n’est pas nécessairement le cas, notamment si les titres ne font que capitaliser ;

• Comment qualifier ensuite le dividende : est-il issu d’un résultat courant ou exceptionnel ? C’est a priori une fausse problématique, puisque compte tenu de l’interposition de la structure, il n’y a pas de lien à établir entre le résultat de la société et le produit versé à l’associé de l’autre. Il n’y a pas lieu de faire de distinction en la matière ;

• Le dividende procède-t-il d’une distribution du résultat courant ou d’un report à nouveau, ou d’un résultat antérieur mis en réserves ? Il est d’usage de considérer que la distribution d’un résultat courant ou d’un report à nouveau doit être appréhendée par l’usufruitier, tandis que celles des réserves doit revenir au nu-propriétaire. Sur la première partie, nulle équivoque ; mais pour le sort des distributions de réserve, la réponse apparaît encore nuancée au vu de deux décisions récentes de la Cour de Cassation : la Chambre commerciale, a en effet considéré que « dans le cas où la collectivité des associés décide de distribuer un dividende par prélèvement sur les réserves, le droit de jouissance de l’usufruitier de droits sociaux s’exerce, sauf convention contraire entre celui-ci et le nu-propriétaire, sous la forme d’un quasi-usufruit, sur le produit de cette distribution revenant aux parts sociales grevées d’usufruit, de sorte que l’usufruitier se trouve tenu, en application du premier des textes susvisés, d’une dette de restitution exigible au terme de l’usufruit et qui, prenant sa source dans la loi, est déductible de l’actif successoral lorsque l’usufruit s’éteint par la mort de l’usufruitier » (Cass., Com., 27 mai 2015).

La Première Chambre civile, quant à elle, a simplement énoncé dans un arrêt du 22 juin 2016 que « si l’usufruitier a droit aux bénéfices distribués, il n’a aucun droit sur les bénéfices qui ont été mis en réserve, lesquels constituent l’accroissement de l’actif social et reviennent en tant que tel au nu-propriétaire » (Cass., 1ère Civ, 22 juin 2016).

Si en substance la distribution de réserves doit revenir au nu-propriétaire, le bénéfice d’un quasi-usufruit sur cette distribution n’est pas assuré à l’usufruitier des parts de la société civile.

Toutefois, rien n’interdit que les statuts de la société, ou une convention entre l’usufruitier et le nu-propriétaire, règlent d’une manière différente le sort des distributions de réserves revenant aux parts démembrées, et surtout clarifient les questions évoquées ci-dessus. On ne saurait d’ailleurs que trop recommander une adaptation statutaire spécifique prévoyant, selon les besoins des associés en démembrement :
– L’existence d’un quasi-usufruit sur la distribution de réserves ;
– Le partage des sommes entre usufruitier et nu-propriétaire en fonction de la valeur de leurs droits, en indiquant la méthode de valorisation retenue (économique ou selon le barème de l’article 669 du Code Général des Impôts)
– Le remploi conjoint des sommes dans un actif en report de démembrement de propriété ;
– Le versement des sommes sur un compte bancaire ou un compte courant d’associé démembré.

B. Traitement fiscal des gains en société
Fiscalement, l’interposition de la société civile emportera également différentes conséquences non négligeables par rapport à une détention démembrée en direct du portefeuille.

« Les associés des sociétés en nom collectif et les commandités des sociétés en commandite simple sont, lorsque ces sociétés n’ont pas opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux, personnellement soumis à l’impôt sur le revenu pour la part de bénéfices sociaux correspondant à leurs droits dans la société. » (art. 8 CGI).

En cas de démembrement des parts sociales, seul l‘usufruitier est imposé à raison de la quote-part de bénéfices qu’il retire grâce à sa qualité d’usufruitier, à l’exclusion du nu-propriétaire.
Une instruction fiscale du 8 novembre 1999 est venue ajouter que l’usufruitier est imposable à hauteur des bénéfices courants de la société, tandis que le nu-propriétaire devait lui être taxé à raison des résultats exceptionnels. Le tout en laissant la possibilité de répartir conventionnellement les résultats sociaux d’une autre manière, dès lors que cette convention était enregistrée avant la clôture des comptes de l’exercice en cause.

L’application de cette instruction est délicate au regard de l’article 8 du Code Général des Impôts précité : comment taxer chez le nu-propriétaire un dividende distribué à partir d’un résultat exceptionnel lorsque la loi fait profiter l’usufruitier de ce dividende ? On ne le peut. Or, les gains réalisés lors des arbitrages sur les lignes de titres sont intrinsèquement des plus-values, qui hors société civile devraient être perçues et taxées respectivement par et chez le nu-propriétaire ; les dividendes versés sont issus de ces gains ; les dividendes profitent à l’usufruitier et sont taxés chez lui au titre de l’impôt sur le revenu. Le renversement du schéma fiscal est imparable : le recours à la société civile permet de faire taxer les plus-values réalisées chez l’usufruitier, non chez le nu-propriétaire comme en détention directe.

C. Adaptations complémentaires par les statuts de la société
La société civile présente d’autres atouts intéressants, tenant de la construction de ses statuts sociaux et qui relèvent d’un classicisme éprouvé sur différentes thématiques ne nécessitant pas d’attention particulière. En voici les contours dans un objectif de protection de l’usufruitier :

• Le gérant dispose de tous les pouvoirs nécessaires à la réalisation de l’objet social de la société, et doit agir dans l’intérêt de la société dans les limites qui lui sont fixées par les statuts. La modulation de l’étendue des pouvoirs du gérant présente une importance toute particulière, notamment lorsque ce dernier est également usufruitier des parts de la société civile, puisque c’est a priori dans son intérêt que la société a été constituée ;

• Les rédacteurs des statuts devront être vigilants quant à la nécessité ou non d’être associé pour accéder à la fonction de gérance. En effet, la doctrine considère que seul le nu-propriétaire a la qualité d’associé. Il conviendra pour l’usufruitier de s’assurer de détenir au moins une part en pleine propriété dans la structure pour bénéficier de la qualité d’associé et accéder au poste de gérant ;

• La durée de la gérance pourra opportunément être étendue au maximum par deux voies : l’obligation de recourir à une assemblée générale statuant à l’unanimité pour modifier la gérance, et réserver le droit de vote pour cette décision à l’usufruitier uniquement ;

• Enfin, la balance de répartition des votes entre usufruitier et nu-propriétaire pourra être largement favorable au premier, puisque non seulement il ne peut être privé du droit de vote pour l’assemblée décidant de la répartition des bénéfices, mais à l’opposé, il pourrait lui être attribué l’intégralité des droits de vote pour toutes décisions (Cass., com., 2 déc. 2008). Objection étant faite que cet extrême n’est pas à suivre à la lettre, puisqu’il revient à priver le nu-propriétaire de toute participation « effective » dans la structure, sa seule présence à une assemblée générale ne pouvant suffire pour qu’il conserve la qualité d’associé que la loi lui confère.

Dès lors, le recours à la société civile nous paraît, sinon indéniable, au moins fortement recommandé pour s’affranchir d’une série de difficultés liées à l’universalité de fait que constitue le portefeuille de titres détenu en démembrement direct. L’interposition d’une société civile permettra de remettre en cohérence la stratégie patrimoniale régulièrement tournée vers l’usufruitier et la taxation des gains réalisés. La société civile offre une souplesse incomparable au cours du démembrement, permettant de choisir : on sort effectivement d’un cadre légal ou jurisprudentiel fermé pour entrer dans un monde fortement conventionnel. Et c’est bien ce que la stratégie patrimoniale recherche avant tout. En cette période de transition entre l’Impôt de Solidarité sur la Fortune et l’Impôt sur la Fortune Immobilière, et le (léger) repli vers les investissements financiers consécutif, il y a fort à parier que la société civile retrouve son éclat.

Définitivement, la société civile n’est pas qu’immobilière.

Par Olifan Group

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