Expertise Inégénierie Patrimoniale
#regards d'experts 9 | 3ème trimestre 2024
Non déductibilité de la créance de restitution : les commentaires administratifs sont là !
A retenir :
- Les dispositions de l’article 774 bis du CGI n’ont pas d’incidences sur la stratégie de donation avant cession permettant de purger les plus-values latentes
- Si le dispositif s’applique de façon large, restent exclus les clauses bénéficiaires démembrées, les droits successoraux et avantages matrimoniaux, distribution de réserves et possiblement d’autres situations où le défunt ne s’est pas réservé l’usufruit ou il n’a pas été à l’initiative de l’opération.
- La déductibilité de l’actif successoral de la créance issue d’une cession n’est pas écartée de façon absolue. L’administration cite quelques exemples qui ne doivent pas être considérés comme exhaustifs, le quasi-usufruit offrant des avantages importants en termes de gestion et de budget en faveur de l’usufruitier.
- Il est possible de rembourser de manière anticipée la créance de restitution, y compris en réalisant un investissement démembré.
Rappel : Quasi-usufruit
Le quasi-usufruit est une application particulière du démembrement lorsqu’il a pour support des actifs ne générant pas de fruits ou revenus, notamment des sommes d’argent. Le Code civil prévoit alors en son article 587 que l’usufruitier a la possibilité de consommer le bien, charge à lui de restituer la chose au terme de l’usufruit. Cette dette est déductible de l’actif successoral malgré les dispositions de l’article 773,2 du CGI car elle est, en général, une dette légale (hors champs de l’article 773,2) issue de l’application de droit de l’article 587 du Code civil, ou conventionnelle prévue dans un acte ayant date certaine (donation, acte de vente…)
Ce quasi-usufruit va notamment naître lorsque le démembrement rencontre des liquidités :
- vente de biens démembrés lorsque les parties ont convenu d’un quasi-usufruit.
- distribution de réserves sous forme de numéraire,
- remboursement de créance démembrée,
- clause bénéficiaire de contrat d’assurance démembrée (sauf convention contraire de remploi sur un nouvel actif).
Projet de loi de finances pour 2024
Pendant de longues années les praticiens se sont interrogés sur la possibilité de réaliser des dons de sommes d’argent avec une réserve d’usufruit, ce qui génère alors un quasi-usufruit. Si un don manuel semble impossible compte tenu de l’absence de virement ou remise d’espèces, la donation notariée a été l’objet d’un récent avis du Comité de l’Abus de Droit Fiscal du 11 mai 2023 (aff. 2022-15).
Le comité a considéré que la donation-partage d’une somme d’argent avec réserve de quasi-usufruit n’était pas abusive à hauteur du capital que possédait effectivement le donateur, mais qu’elle le devenait pour la fraction l’excédant.
Si l’administration a décidé de suivre la position du comité, le débat s’est poursuivi au Parlement quelques mois plus tard. L’amendement n°1868[1] au projet de loi de finances pour 2024 a été adopté et est présent dans le texte de loi définitif. Ces dispositions, codifiées à l’article 774 du CGI, mentionnent que « Ne sont pas déductibles de l’actif successoral les dettes de restitution exigibles qui portent sur une somme d’argent dont le défunt s’était réservé l’usufruit. »
Néanmoins « Les dispositions du I ne s’appliquent pas aux dettes de restitution :
- contractées sur le prix de cession d’un bien dont le défunt s’était réservé l’usufruit, sous réserve qu’il soit justifié que ces dettes n’ont pas été contractées dans un objectif principalement fiscal,
- ni aux usufruits qui résultent de l’application des articles 757 ou 1094-1 du code civil. »
Ces dispositions s’appliquent aux successions ouvertes à compter du 1er janvier 2024.
[1] https://www.senat.fr/amendements/2023-2024/127/Amdt_I-1868.html
> Une question ? Contactez nousCommentaires administratifs
L’administration a intégré au BOFiP ses commentaires sous la référence BOI-ENR-DMTG-10-40-20-20-20240926 n°200 et suivants.
Champs d’application large
Les commentaires respectent le champ d’application du dispositif particulièrement large et ouvert.
Ainsi l’administration énonce qu’une créance de quasi-usufruit issue du rachat d’un contrat de capitalisation ou le remboursement d’une créance, tous deux démembrés, peut être concernée.
« Les circonstances de constitution de l’usufruit que le défunt s'est réservé sont sans incidence. […] Elle concerne également toute dette de restitution résultant de la cession d’un bien dont le défunt s’était préalablement réservé l’usufruit, ou de toute autre opération assimilable par laquelle le bien sur lequel le défunt s’était réservé l’usufruit est liquidé sous forme d’une somme d’argent (exemples : paiement ou remboursement d’une créance, rachat d’un contrat de capitalisation, etc.), avec report de l’usufruit sur le prix de cession ou sur le produit de la liquidation. »
Exclusions
La non déductibilité n’est pas applicable * « lorsque la somme d’argent dont le défunt s’était réservé l’usufruit constitue le produit d’une cession ou d’une opération assimilable dont le défunt n’a pas été à l’initiative.
Tel est en principe le cas si la dette de restitution portant sur une somme d’argent au décès de l’usufruitier résulte du versement à son profit :
- d’une indemnité d’expropriation d’un bien démembré ou d’une indemnité d’assurance faisant suite à la destruction du bien démembré ;
- de la distribution de dividendes prélevés sur les réserves. »La distribution d’un résultat, hors réserves, portant atteinte à la substance, justifie que l’usufruitier comme le nu-propriétaire aient des droits à son sujet. S’il est sous forme de numéraire, un quasi-usufruit est de droit et légal. On devrait par conséquent adopter le même traitement que pour des réserves, la décision de distribution et le traitement du démembrement étant similaireSi l’on choisit la voie d’une réduction de capital ou d’une dissolution, la loi et l’administration devraient traiter différemment cette sortie d’actifs en faveur des associés, en l’assimilant au cas d’une cession, traitée ci-après. On peut espérer un traitement administratif, voire judiciaire, favorable, et éviter ainsi une différence de traitement successoral de ces voies. Si l’on veut sécuriser une opération on pourra envisager de procéder initialement à la distribution de réserves, quitte à réduire le capital ou dissoudre postérieurement.
* Les dispositions concernant les dettes de restitution portant sur une somme d’argent dont le défunt s’était réservé l’usufruit, « Par suite, ces dispositions ne s’appliquent pas à la dette de restitution portant sur une somme d’argent dont le défunt détenait l’usufruit pour avoir été institué :
- par le souscripteur d’un contrat d’assurance-vie comme bénéficiaire en usufruit des sommes dues au titre du dénouement de ce contrat ;
- en tant que légataire ou donataire à cause de mort de son partenaire lié par un pacte civil de solidarité (PACS) ou de son concubin prédécédé. » La loi exclut déjà les droits du conjoint survivant au titre de ses droits légaux ou conventionnels (donation au dernier vivant, testament). L’administration mentionne également dans ses commentaires les avantages matrimoniaux, citant par exemple le préciput.
Créance de restitution issue de cession : motivation principalement non fiscale
L’administration illustre les situations et les éléments où la motivation principalement serait écartée. Elle ne trace pas de démarcation claire, mais laisse à l’appréciation selon « un faisceau d’indices ».
- Temps écoulé entre le démembrement de propriété et la cession du bien démembré ou de l'opération assimilable. « En effet, plus la durée écoulée entre le démembrement et la cession ou la liquidation des biens démembrés est longue, moins la dette de restitution sur la somme d’argent résultant de cette liquidation est susceptible d’être regardée comme poursuivant un but principalement fiscal. Cette durée est également à apprécier à la lumière de la variation à la baisse de la valeur des biens démembrés (exemples : valeurs mobilières non garanties, contrat de capitalisation en unités de comptes) ; » La situation abusive serait notamment celle d’une acquisition de titres à la valeur relativement stable brièvement avant leur donation avec réserve d’usufruit et leur cession conjointe peu après faisant naître un quasi-usufruit. Dans cette situation on voit bien que l’opération d’acquisition n’avait pas d’utilité autre qu’être le support de la donation avec réserve d’usufruit, évitant que le quasi-usufruit porte initialement sur une somme d’argent. L’administration ne mentionne néanmoins pas le délai entre acquisition du bien et démembrement qui devrait être déterminant.
- « Motivations patrimoniales de la cession du bien ou de l'opération assimilable. » « Par exemple, le report de l’usufruit sur la somme d'argent constituant le prix de cession ou le produit de la liquidation du bien démembré peut s’expliquer par la motivation patrimoniale de pallier l’insuffisance de liquidités nécessaires pour s’acquitter de dépenses d’hébergement de l’usufruitier. » L’illustration semble excessivement timorée. Le quasi-usufruit offre des modalités de gestion favorables qui s’applique au-delà de la subsistance de l’usufruitier menacé d’être sans-abri… En effet, le choix du quasi-usufruit sur le prix de cession, outre être un choix expressément ouvert par le code civil, est motivé par la grande liberté laissé à l’usufruitier. Les situations de non liquidation des droits retraite, d’une phase professionnelle transitoire, d’un réinvestissement professionnel, ou de tout déficit budgétaire important devraient pouvoir être retenu.
- « Degré de latitude de l’usufruitier à décider du report de l’usufruit sur le prix de cession ou sur le produit de l'opération assimilable à la cession. » « À cet égard, en cas de cession de la nue-propriété d'un bien au prix du marché avec réserve d'usufruit par le cédant, l’exercice par le nu-propriétaire de ses droits pour permettre, tant la cession ultérieure du bien que le report de l’usufruit sur le produit de la cession permettent de déduire que la dette de restitution à son profit n’a pas été contractée dans un objectif principalement fiscal. » Si la donation n’impose pas par défaut le quasi-usufruit sur le prix de cession, sauf convention contraire entre usufruitier et nu-propriétaire, la déductibilité serait plus favorablement appréciée. L’initiative de l’usufruitier est ainsi déterminante, raison pour laquelle le démembrement de la clause bénéficiaire ou des droits successoraux a été écarté du dispositif. Le délai entre donation et cession impacterait-il cette appréciation ?
Epouvantail
L’administration fait le choix d’entretenir un « brouillard de guerre » à propos d’un dispositif au champs d’application large et à la charge de la preuve renversée. En effet, à propos de ce dernier point, alors que la procédure de l’abus de droit met à la charge de l’administration de démontrer l’utilisation de dispositions avec un esprit contraire à celui de leurs auteurs ET un but exclusivement ou principalement fiscal, la loi pré suppose une non déductibilité, charge au redevable de justifier l’absence, en cas de cession de biens démembrés, de motif fiscal.
S’il semble que, dans de très nombreux cas, le choix du quasi-usufruit répond à des considérations de gestion et de budget en faveur de l’usufruitier, ce que les éventuels jugements à venir pourraient confirmer, l’administration fait le choix de sécuriser a priori le moins possible de situations.
Elle mentionne ainsi des situations caricaturales, sans enjeux (un usufruitier ne pouvant pas assurer le paiement de son loyer a peu de chance d’être l’objet d’une succession à fort montant) et que l’on n’oserait pas contester. Le principal avantage pratique pour l’administration fiscale de ces dispositions et de leurs commentaires est ainsi de faire douter les redevables et leurs conseils. Ils vont ainsi s’auto censurer, dans des proportions dépassant ce qui serait nécessaire.
> Une question ? Contactez nousDonation avant cession ?
La donation a pour effet de purger les plus-values latentes privées. Cette stratégie relativement classique bénéficie d’une jurisprudence du Conseil d’Etat sécurisante : elle limite, de façon constante, la remise en cause de l’opération à une fictivité de la donation.
Cette stratégie s’applique également en cas de donation de la nue-propriété. Le Conseil d’Etat, dans ses arrêt du 10 février 2017 et du 31 mars 2017, a jugé dans le cadre des opérations de donation avant cession que le fait que les capitaux fassent l’objet d’un quasi-usufruit ne remettait nullement en cause la donation. En présence d’un quasi-usufruit le nu-propriétaire est titulaire d’une créance et l’usufruitier son débiteur, il y a donc appauvrissement immédiat du donateur usufruitier. La fictivité et donc la requalification est écartée.
Les dispositions de l’article 774 bis du CGI ne concernent que les droits de succession et aucunement le calcul des plus-values de cession. Elles sont donc sans effet sur ces stratégies et leur traitement au regard de l’abus de droit. On relèvera également que l’abus de droit, tant au titre de l’article L.64 que de l’article L.64 A (dit « mini abus de droit ») du LPF introduit pour les actes réalisés à compter de 2020, dans sa branche fraude à la loi (application littérale des textes à l’encontre de l’esprit de leurs auteurs), exige bien plus que la seule intention mais bien cumulativement l’usage de textes dans un esprit contraire de celui de leurs auteurs, comme confirmé par l’administration dans ses derniers commentaires.
Or l’opération de donation avant cession n’est pas susceptible d’être remise en cause sur le fondement de la fraude à la loi, l’institution de la libéralité n’ayant pas d’autre objet qu’un transfert de richesse volontaire.
Par conséquent, on ne pourra aucunement transposer l’application ou des décisions concernant le dispositif de l’article 774 bis du CGI, cantonné à la détermination des droits de succession, à la question des donations avant cession avec quasi-usufruit sur le prix de cession et un caractère abusif.
Considérations pratiques
Nous jugeons hors de propos d’abandonner l’usage de la réserve de quasi-usufruit sur un prix de cession dans les donations ou dans les actes de cession ou assimilés. Le quasi-usufruit répond souvent à des attentes fortes et légitimes des usufruitiers (disposition relativement libre des fonds tant dans leur consommation que leur gestion). On n’hésitera pas à mentionner dans les actes la motivation du choix du quasi-usufruit.
Les dispositions de l’article 774 bis du CGI n’ont pas vocation à s’appliquer à toutes les situations non exclues expressément par les commentaires, la motivation autre que fiscale pourra dans un très grand nombre de cas être avancée au-delà des usufruitiers nécessiteux.
Lorsque l’entente familiale le permettra, on favorisera l’adoption du quasi-usufruit par les parties dans l’acte de cession, ou du moins en dehors de l’acte de donation ayant généré le démembrement.
Enfin, un quasi-usufruit peut tout à fait faire l’objet d’un remboursement anticipé, total ou partiel, de la créance. On retiendra alors une valeur décotée par rapport au nominal de la créance, reflétant une valeur égale à celle équivalent à la nue-propriété (ce qui exclut toute donation ou abandon d’usufruit).
On pourra opérer un remboursement en numéraire et l’associer le cas échéant à un investissement en démembrement, le remboursement de la créance finançant la valeur de la nue-propriété acquise. L’origine du financement écartera la présomption de l’article 751 du CGI.
Attention, un remboursement par attribution d’un actif sera une dation en paiement soumise aux droits d’enregistrement significatifs en cas d’immeuble, de sociétés à prépondérance immobilières ou de parts sociales. Seul un remboursement très peu anticipé, soit peu avant un décès prévisible pourrait faire l’objet d’une contestation, cette fois-ci sur le fondement de l’abus de droit.
Un remboursement partiel de la créance de quasi-usufruit pourrait être apprécié comme un indice de motivation non fiscale du quasi-usufruit, démontrant l’effectivité de la souplesse de gestion offerte par cette option.
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