Rappel des épisodes précédents…
Les commentaires administratifs, publiés dans le BOFiP le 15 décembre 2023 de façon inattendue, mentionnant la qualification de BNC ou de salaires des rémunérations de mandat social au sein de SELARL, SELCA et SELAS a bouleversé les repères.
Certes, le Conseil d’Etat s’était prononcé en ce sens dans un arrêt rendu en date du 8 décembre 2017. Mais les faits de l’espèce, soit la déductibilité de cotisations versées sur un contrat Madelin (donc relatif à des rémunérations non salariées sur le plan fiscal) versées par un mandataire social de SELAS, et l’absence de commentaires administratifs n’avaient pas convaincu les praticiens de modifier leur appréciation du traitement fiscal des rémunérations de mandat social.
L’administration a ensuite repoussé l’application des principes exposés aux revenus 2024 et a égrainé des précisions sur les impacts de ce changement majeur à l’occasion de réponses à des demandes de rescrits.
https://olifangroup.com/2024-defi-ou-opportunite-pour-les-professions-liberales/
Le Conseil National des Barreaux (organisation nationale qui représente l'ensemble des avocats inscrits à un barreau français) a réagi vivement à ces commentaires administratifs et a introduit une procédure de recours en excès de pouvoirs à leur encontre. Le Conseil d’Etat vient de rendre sa décision en date du 08 avril 2025.
Nous commentons ci-après les éléments qui nous semble d’une portée pratique importante.
En parallèle, la Cour de cassation rendait un arrêt en date du 13 octobre 2023 qui créait des craintes (très exagérées selon nous) de remise en cause des effets sociaux permis par une organisation sociétaire, notamment de holding pour les professions libérales.
https://olifangroup.com/professions-liberales-que-faire-apres-la-recente-jurisprudence-de-la-cour-de-cassation/
L’administration a répondu à une question écrite parlementaire, avec des propos confirmant notre analyse mesurée.Par ailleurs, une récente réunion de l’IACF a permis de recueillir des éléments supplémentaires auprès de représentants de l’administration fiscale.
SEL ou non : le Conseil d’Etat ne fait aucune distinction !
Le CNB critiquait les commentaires administratifs au motif d’une rupture d’égalité devant l’impôt, le traitement des SEL étant apparemment différent de celui des sociétés de droit commun. En effet, les commentaires administratifs portaient seulement sur les SEL.
Le Conseil d’Etat rejette cet argument au motif qu’il n’y a pas de différence de traitement à observer !« 5. Aux termes de l’article 62 du code général des impôts : […]
Il réégorie de revenus que ces dispositions instituent mais, selon que les conditions dans lesquelles cette activité est exercée traduisent ou non l’existence d’un lien de subordination à l’égard de la société, de celle des traitements et salaires ou de celle des bénéfices non commerciaux. »
sulte de ces dispositions que les rémunérations perçues par le gérant majoritaire d’une société à responsabilité limitée assujettie à l’impôt sur les sociétés ou par le gérant d’une société en commandite par actions et qui, se rapportant à l’exercice personnel par ceux-ci, au sein de la société, d’une activité professionnelle libérale, ne peuvent être regardées comme se rattachant à leurs fonctions, à caractère transversal, de gérance ne relèvent pas de la cat
Par conséquent, l’administration n’avait pas interprété correctement la position du Conseil d’Etat en limitant cette qualification BNC/salaire aux SEL.
Quelles sont les conséquences de cette décision ?
Il ne devrait pas y avoir d’impact sur les revenus 2024 car l’administration a tenu une position contraire dans sa doctrine administrative opposable (article L.80 A du LPF) que constitue le BOFiP en date du 27 décembre 2023 sous la référence BOI-RSA-GER-10-30-20231227. En effet, il est énoncé, sans aucune exception relative à l’activité exercée, que :
- les rémunérations de mandataires de SAS relèvent des salaires (paragraphes 180 et 120),
- les rémunérations de gérants majoritaires de SARL relèvent de l’article 62 (paragraphe 200)
- les rémunérations de SCP, SISA et entreprises individuelles soumises à l’impôt sur les sociétés relèvent de l’article 62 (paragraphes 330 et 340).
On peut en revanche anticiper une modification des commentaires administratifs élargissant à toutes les sociétés d’exercice de profession règlementée les règles édictées pour les SEL applicable aux revenus 2025 au plus tôt.
Ceci ne serait pas sans rappeler l’effet tache d’huile de soumission aux cotisations sociales des dividendes distribués par des SEL, introduit par une jurisprudence concernant également un dentiste, légalisée en 2009 pour les SEL, et élargie à toutes les parts sociales à compter de 2013… Merci les dentistes.
Des professions jusqu’alors non concernées, car pouvant ne pas utiliser les SEL, y compris de longue date comme les experts-comptables, pourraient ainsi être concernées.
Le CNBF appelle à un travail de lobbying afin de créer dans la prochaine loi de finances un abattement de 10 % en faveur des mandataires dont la rémunération serait traitée comme BNC.
Quelques précisions
Une réunion de l’IACF (Institut des avocats conseils fiscaux) a organisé une conférence en avril 2025 à laquelle a participé l’administration fiscale via des représentants de la direction de la législation fiscale (DLF).
Un compte-rendu des échanges a été publié en mai 2025 et apporte un certain nombre d’éléments pratiques.
La DLF confirme que les pharmaciens exerçant en SEL sont bien concernés par les règles exposées dans le BOFiP au sein de la partie BNC. En effet, si la SEL exerce une activité BIC (achat revente de médicaments et autres marchandises), le mandataire exerce une activité technique. Cette position aurait fait l’objet de communication auprès des organismes professionnels et SIE, sans être inscrite dans le BOFiP ou via d’autres canaux officiels à ce jour.
Si les seuils de recettes doivent être respectés pour un mandataire en exercice antérieurement à 2024, La DLF a confirmé qu'un professionnel qui devient mandataire à compter de 2024 bénéficie de plein droit du régime « micro » au titre des deux premières années d'exercice de son activité, indépendamment même du montant du salaire qu'il aurait effectivement perçu au titre des deux années précédentes au sein de la même société.
La question de l’inscription des titres de la SEL dans le patrimoine professionnel BNC posait beaucoup question quant à ses conséquences en cas de cession notamment.
La DLF énonce le principe selon lequel les titres que l'associé détient dans sa structure d'exercice font partie de son patrimoine privé.
Ceci semble contredire la position exprimé dans un rescrit intégré au BOFiP dans lequel l’administration mentionnait qu’en cas d’inscription dans l’actif professionnel, les intérêts d’emprunt d’acquisition des titres de la société était déductibles des BNC (BOI-RES-BNC-000136-20240424 1.6)
Il pourrait les inscrire à l'actif de son bilan professionnel à condition qu’il exerce une activité propre et non uniquement au travers de la société.
Cette position interroge quant au principe de l'unicité d'exercice (ou d'exercice exclusif) de la profession d'avocat, signifiant qu'un avocat n'a qu'un seul mode d'exercice de sa profession.
L’administration prévoit de faire introduire dans la prochaine loi de finances des dispositions relative aux plus-values :
- Afin que les échanges de titres (cas de retrait d’un associé par scission et attribution de titres de la nouvelle entité au sortant) fassent l’objet d’un sursis d’imposition alors que l’article 38, 7 bis du CGI n’est pas applicable lorsque les titres relèvent du patrimoine privé).
- afin de compenser un report de plus-value professionnel avec une moins-value privée ultérieure portant sur de mêmes titres (cas du passage d’une SCP IR à une société IS par exemple).
Arrêt de la Cour de cassation du 13 octobre 2023 : la Gouvernement calme le jeu
À la suite de cette décision dont l’attendu était particulièrement troublant, voire illégal en dehors d’une procédure de répression d’un abus de droit, une question écrite avait été adressée au Gouvernement. La réponse a été adressé en date du 27 février 2025 (JO Sénat n°418), et s’attache à rassurer praticiens et conseils.
Ainsi elle énonce que « la Cour a certainement entendu tirer les conséquences d'une situation précise dans laquelle l'interposition d'une société holding n'a pu avoir pour autre objet que de contourner la législation sur la réintégration de certains dividendes distribués à un travailleur indépendant au sein de l'assiette de cotisations et de contributions sociales de celui-ci
[abus de droit social].
En tout état de cause, compte tenu des particularités de l'espèce et de la conclusion prise en conséquence par le juge, cet arrêt ne saurait être regardé comme un arrêt de principe remettant en cause la distinction entre personnes morales et personnes physiques. Dès lors, il n'est pas prévu de tirer des conclusions juridiques générales en conséquence de cet arrêt, et cette position a été rappelée par l'Etat aux organismes de recouvrement de cotisations et contributions sociales. »
Nous renouvelons ainsi notre préconisation de prévoir une rémunération normale de l’activité du praticien au sein de la SEL, qui désamorcera toute requalification. Cette contestation pourrait à l’avenir prendre la qualification d’un acte anormal de gestion en renonçant à une recette BNC.