nue-propriété indivise : l’attribution préférentielle ne peut atteindre l’usufruit
Cass. civ. 1re, 30 avril 2025, n° 24-15.624, F-B
Les articles 831 à 833 du code civil prévoient, en cas d’indivision, que tout conjoint survivant ou autre héritier copropriétaire en pleine propriété ou en nue-propriété, peut demander l'attribution préférentielle notamment d’une entreprise, de quote-part indivise ou de droits sociaux (sous réserve de participation à l’exploitation).
Ces dispositions s’appliquent lorsque le conjoint ou héritier a des droits en pleine propriété ou nue-propriété (article 833 C. civil)
Un défunt laisse pour lui succéder son épouse avec laquelle il était marié sous le régime légal de la communauté réduite aux acquêts et leurs trois enfants. Du fait d’une donation au dernier vivant, la conjointe survivante hérite de la totalité de l’usufruit et les enfants de la nue-propriété répartie à parts égales. La succession comprend notamment une ferme agricole exploitée et habitée par l’une des filles. En tant qu’héritière, cette dernière demande l’attribution préférentielle en pleine propriété de cette ferme, moyennant soulte.
La Cour d’appel accède à cette demande en considérant que cette attribution était compatible avec l’usufruit de la veuve, et que la répartition pouvait intervenir à l’issue du partage.
La spécificité de l’opération en cause était dans l’attribution de droits non compris dans l’indivision à partager. En effet, l’indivision n’existait qu’en nue-propriété alors que la coindivisaire demandait une attribution en pleine propriété.
La Cour de cassation infirme le raisonnement de la Cour d’appel et casse et annule la décision concernant l’attribution en pleine propriété. Elle considère que l’attribution préférentielle ne pourra porter que sur les droits compris dans l’indivision à partager, de sorte que, si l’indivision n’existe qu’en nue-propriété, la copropriétaire en nue-propriété ne peut être admis qu’à solliciter une attribution en nue-propriété.
OBSERVATIONS ET CONSEILS :
- Cette solution respecte la lettre les articles 831 et 833 du code civil : seuls des droits indivis sont amenés à faire l’objet de l’attribution préférentielle.
Ceci sécurise les personnes détenant des droits divis, ce qui est souvent le cas du conjoint survivant bénéficiant de l’usufruit successoral ou réversif sur des biens personnels, propres ou communs.
- Il est nécessaire d’anticiper sa succession en dehors des répartitions classiques prévues dans les donations au dernier vivant pour correspondre au mieux aux réalités familiales et aux nécessité de la vie de votre entreprise. En effet, en l’espèce, le défunt avait donné à bail rural à long terme à sa fille (jusqu’en 2027) sur ce bien et cette dernière y habitait et y avait effectué des travaux.
- Une actualisation des actes effectués (testament ou donation au dernier vivant) est toujours possible en fonction de l’évolution du patrimoine et de la famille.
Travaux d’amélioration financés par l’usufruitier : une libéralité rapportable à certaines conditions
Cass. 1e civ. 23-10-2024 no 22-20.879 F-D
Dans une décision du 23 octobre 2024, la Première chambre civile de la Cour de cassation a tranché une question délicate relative à la prise en compte, dans une succession, de travaux réalisés par un usufruitier sur un bien immobilier démembré.
L’un des enfants avait reçu la nue-propriété d’une maison d'habitation – un ancien logement de garde désaffecté - dans le cadre d’une donation-partage consentie par ses parents. Par la suite, le logement avait fait l’objet d’importants travaux de rénovation, financés intégralement par l’usufruitière, pour un montant total de 922 000 € :
- 660 000 € de travaux d’aménagement/amélioration (électricité, plomberie, ravalement, etc.), légalement à la charge de l’usufruitier ;
- 262 000 € de gros travaux (portail, toiture, murs etc.), relevant normalement du nu-propriétaire.
À son décès, un contentieux a opposé les héritiers quant au sort successoral de ces dépenses. La Cour d’appel a jugé que l’ensemble des travaux constituait une libéralité au profit de la nue-propriétaire, et a ordonné le rapport intégral des sommes à la succession. Cette dernière a formé un pourvoi, contestant la qualification de libéralité pour les travaux d'amélioration.
Le financement, par un usufruitier, de travaux d’amélioration légalement à sa charge, peut-il être considéré comme une libéralité rapportable à la succession ?
La Cour de cassation valide le raisonnement de la cour d’appel, affirmant que :
« La réalisation par l'usufruitier de travaux d'amélioration valorisant le bien n'est pas exclusif d'un dépouillement dans une intention libérale, constitutifs d'une libéralité, peu important que ceux-ci soient légalement à sa charge. »
Autrement dit, la répartition légale des charges entre usufruitier et nu-propriétaire
n’interdit pas la qualification de libéralité, dès lors que les conditions classiques du droit des libéralités sont réunies :
- Un appauvrissement du disposant corrélatif à un enrichissement du nu-propriétaire ;
- Une intention libérale au profit du nu-propriétaire.
En l’espèce, les juges du fond avaient relevé que :
- Les travaux n’étaient ni exigés par une contrainte de bail, ni imposés par une obligation légale de rénovation ;
- L’usufruitière n’en tirait aucune contrepartie personnelle, en effet, elle n’occupait ni ne louait le bien ;
Ces éléments –
absence de nécessité juridique et surtout
absence d’intérêt personnel – ont permis de caractériser une intention de gratifier la nue-propriétaire, ce qui a justifié le
rapport des dépenses à la succession.
OBSERVATIONS ET CONSEILS :
Cette décision appelle à une vigilance accrue dans les stratégies patrimoniales impliquant des démembrements de propriété, notamment lorsque :
- L’usufruitier finance des travaux de valorisation sans vivre dans le bien ou sans en tirer des revenus ;
- Les enfants sont nus-propriétaires et que des déséquilibres successoraux peuvent surgir.
Il est donc recommandé :
- De documenter l’intérêt personnel de l’usufruitier (usage réel du bien, projet de revente, perception de loyers, etc.) ;
- De prévoir des clauses explicites dans l’acte de donation-partage ou de convention d’usufruit, précisant le sort des travaux futurs ;
- Ou encore d’anticiper, via des libéralités encadrées ou partage inégal compensé, les conséquences de travaux importants.