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Regards d'Experts #5 | 2ème trimestre 2023
Veille jurisprudentielle et législative : Exonération de la plus-value de cession de la résidence principale
Exonération de la plus-value de cession de la résidence principale : Est-ce bien votre résidence principale ?
Si le bénéfice de l’exonération au titre de la cession de la résidence principale revêt un caractère général [1] et s’applique quel que soit les motifs de la cession, force est de constater l’abondante jurisprudence en la matière. En effet, les juges du fond sont régulièrement amenés à trancher le litige opposant l’administration fiscale et les contribuables sur cette qualification de résidence principale.
Pour rappel, en cas de cession de la résidence principale par un résident fiscal français, l’article 150 U, II-1° du CGI admet le bénéfice de l’exonération de la plus-value immobilière des particuliers tant à l’impôt sur le revenu qu’aux prélèvements sociaux, dès lors qu’il s’agit de la résidence principale du cédant, au jour de la cession et sans délai de détention requis !
La qualification de résidence principale relève d’une question de fait qu’il appartient à l’administration fiscale d’apprécier sous le contrôle du juge de l’impôt [2].
Le 29 mars 2023, la Cour Administrative d’Appel de Paris [3] a d’ailleurs, une nouvelle fois, dû se prononcer sur ce cas et nous rappelle que l’appréciation se fait au cas par cas, d’après un faisceau d’indices.
Quand bien même cet arrêt n’apporte pas d’interprétation nouvelle, celui-ci nous donne l’opportunité de rappeler les conditions nécessaires pour pouvoir bénéficier de l’exonération : il doit s’agir de la résidence habituelle et effective du cédant, au jour de la cession, ou de sa mise en vente sous réserve que la cession intervienne dans un délai raisonnable.
Le bien doit constituer la résidence principale habituelle et effective du cédant
Le texte de loi complété par la doctrine administrative [4] l’affirment : le bénéfice de cette exonération est conditionnée au fait que le bien constitue « la résidence habituelle et effective du propriétaire ».
La résidence habituelle est assimilée au lieu où le contribuable réside la majeure partie de l’année. Dès lors, l’occupation temporaire d’un bien ne suffit pas à bénéficier de l’exonération, sauf à ce que le contribuable puisse apporter la preuve de sa résidence et des mesures prises pour qu’elle constitue sa résidence principale [5].
Parmi les éléments non exhaustifs pouvant corroborer l’adresse de la résidence principale figurent notamment la production d’avis d’impôts (impôt sur le revenu, taxe d’habitation sur laquelle figurait l’abattement pour la résidence principale lorsque celle-ci était encore applicable aux résidences principales et désormais la déclaration d’affectation du bien en tant que résidence principale), l’attestation de factures (électricité, eau, gaz), le contrat d’assurance habitation principale multirisques ou encore l’adresse mentionnée sur les bulletins de salaire [6].
Bien que le contribuable puisse présenter ces documents, ces derniers peuvent s’avérer insuffisants s’il n’apporte pas la preuve de l’effectivité de sa résidence.
A ce titre, dans un autre arrêt [7], la seule production d’une ordonnance de non-conciliation de divorce fixant la résidence du vendeur à l’adresse du logement cédé ne suffit pas à apporter la preuve de sa résidence principale habituelle et effective. Pour se prononcer, les juges du fond ont notamment relevé l’absence de factures de consommation d’eau et d’électricité, l’absence de frais de transports entre le bien cédé à Courchevel et son ancienne résidence principale à Neuilly-sur-Seine où vivaient ses enfants et pour lesquels il avait pourtant un droit de visite et d’hébergement, avant que le couple ne se réconcilie. De là à juger que la procédure servait d’alibi à la qualification de résidence principale du chalet…
Plus récemment, un arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Lyon du 30 mars 2022 [8] n’a pas reconnu l’exonération de la plus-value car la consommation d’électricité et d’eau ne correspondait pas à la surface d’habitation et à la composition du foyer, et ce alors même que les consommations s’inscrivaient, d’après les statistiques, « dans la moyenne de celles des foyers français ».
Ainsi, force est de constater que l’analyse des conditions octroyant le bénéfice de cette exonération s’effectue in concreto, et doit être appréciée au jour de la cession du bien, ou lors de sa mise en vente si le délai de vente peut-être qualifié de normal.
Le bien doit constituer la résidence principale du cédant au jour de la cession
Autre condition requise pour bénéficier de l’exonération de la plus-value au titre de la cession de la résidence principale : le bien doit constituer la résidence principale du cédant au jour de la cession.
Ainsi, comme l’indique la doctrine administrative, cela exclut du régime d’exonération [9] les biens qui, « bien qu’ayant été antérieurement la résidence principale du propriétaire, n’ont plus cette qualité au moment de la vente ».
A titre d’exemple, la location d’un bien, l’occupation gratuite du bien par des membres de la famille du cédant ou des tiers, ou encore la vacance du logement sont autant de situations faisant perdre le bénéfice de cette exonération.
Néanmoins, le seul fait que le cédant ait quitté les lieux avant la vente ne fait pas, systématiquement, perdre à lui seul, le bénéfice de cette exonération [10]. En effet, des tolérances administratives existent selon les circonstances d’espèces.
Prenons l’exemple du contribuable qui, jusqu’à sa mise en vente, occupe un bien comme résidence principale, puis qui emménage dans sa future résidence principale avant que ledit bien ne soit cédé. Dans cette hypothèse, au jour de la cession ultérieure, le bien ne constitue alors plus la résidence principale du cédant et l’exonération pourrait ainsi être remise en cause.
Malgré tout, la doctrine administrative et la jurisprudence admettent l’exonération dès lors que la cession intervient dans un délai normal et que le bien ne fait l’objet, durant ce délai, d’aucune location ou de mise à disposition gratuite.
Comment apprécier ce délai normal de vente ? Encore une fois, tout dépendra des circonstances d’espèces. Une attention toute particulière est portée aux conditions locales du marché immobilier, au prix demandé, aux éventuelles caractéristiques particulières du bien [11] et notamment aux diligences accomplies par le cédant pour faire aboutir la vente dans les meilleurs délais.
A titre de référence, le BOFIP précise qu’un délai d’une année constitue un délai maximal dans un contexte économique normal. Elle l’avait temporairement porté à 24 mois lors de la crise des subprimes en 2008.
Néanmoins, la Cour administrative d’appel de Versailles a admis, après cassation du Conseil d’Etat [12] qu’un délai de vingt-neuf mois d’inoccupation avant la cession pouvait malgré tout être analysé comme un délai de vente raisonnable, compte tenu de la procédure de modification des sols engagée par la commune lors de la mise en vente, rendant plus difficile et incertain les transactions immobilières sur le secteur géographique du bien.
A contrario, dans un arrêt récent du 8 mars 2023, la Cour administrative d’appel de Versailles [13] a considéré qu’une contribuable n’avait pas effectué les diligences nécessaires pour mener une vente dans les meilleurs délais, avant son départ en Allemagne (absence de difficulté de marché immobilier local, prix initialement affiché trop élevé par rapport au marché et diminution du prix trop lente…). En l’espèce, il s’était écoulé 4 ans et demi entre le départ en Allemagne de la contribuable et la cession du bien.
On relèvera plusieurs tempéraments administratifs. La cession de l’ancienne résidence principale suite à une séparation du couple reste exonérée dès lors que le logement a été occupé par son ex conjoint, partenaire et même concubin jusqu'à sa mise en vente et que la cession intervient dans les délais normaux de vente. L’administration a également pensé aux propriétaires incarcérés : le logement d’un détenu qui constituait sa résidence principale lors de son entrée en détention reste également éligible sans condition de délai s’il n’a pas été loué depuis la détention !Ce qu’il faut en retenir :
- La qualification de résidence principale relève d’une question de fait qu’il appartient à l’administration fiscale d’apprécier sous le contrôle du juge de l’impôt.
Or, face à l’abondante jurisprudence en la matière, nous ne pouvons que mettre en garde les contribuables qui souhaiteraient invoquer le bénéfice de l’exonération, en l’absence ou en présence de peu d’éléments factuels pouvant attester du caractère habituel et effectif de leur résidence. Il est ainsi recommandé d’user du logement comme résidence principale le temps nécessaire à la matérialisation de preuves suffisantes.
- Il incombe au vendeur de déclarer au notaire que le bien, objet de la cession constitue sa résidence principale. Dès lors, la responsabilité du notaire ne saurait être engagée sur ce point et l’administration fiscale dispose d’un délai de prescription de trois ans, à compter de la cession, pour remettre en cause le bénéfice de cette exonération.
En cas de remise en cause du régime d’exonération, des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux sont dues par le contribuable. A cela s’ajoutent également des intérêts de retard calculés à compter de la date d’exigibilité de l’impôt. Pour éviter les intérêts de retard, le cédant doit réaliser une mention expresse dans un document distinct de l’acte de cession adressé à l’administration contenant les éléments de faits justifiant la qualification [14]. En cas de manœuvres frauduleuses, une majoration de l’impôt due peut également être appliquée.
- Cette analyse n’est pas exhaustive et des règles spécifiques s’appliquent à certaines situations. On sera notamment très vigilant en cas de SCI dont les parts sont démembrées. On devra vérifier qui est le redevable de la plus-value et c’est son seul usage qui déterminera le bénéfice de l’exonération.
Autre cas spécifique : l’exonération ne s’applique pas aux non-résidents qui bénéficient d’un autre dispositif spécifique d’exonération au titre de la cession de leur ancienne résidence principale en France (Art. 244 bis A du CGI).
Références :
[1] BOI-RFPI-PVI-10-40-10 n°10, 19-12-2018
[2] Instruction administrative du 14 janvier 2004
[3] Cour Administrative d’Appel de Paris du 29 mars 2023, n° 22PA05020
[4] BOI-RFPI-PVI-10-40-10 § 20
[5] CAA Nantes 29-12-1989 n° 332, 2e ch., Curet : RJF 4/90 n° 428 et BOI-RFPI-PVI-10-40-10 n° 40
[6] CE 8e et 3e s.-s. 23-10-2013 n° 361233
[7] CE 25 fév. 2015
[8] Cour Administrative d’Appel de Lyon du 30 mars 2022, n°20LY02224
[9] BOI-RFPI-PVI-10-40-10 § 180
[10] CE 29 déc. 1999 n°135065
[11] BOI-RFPI-PVI-10-40-10 § 190
[12] CE 10e et 9e s.-s. 6-10-2010 n° 308051, Griveaux : RJF 1/11 n° 45 et CAA Versailles 16-12-2011 n° 10VE03388, 6e ch., Griveaux
[13] CAA DE VERSAILLES DU 8 MARS 2023, N° 21VE03104
[13] CE 23 oct. 2013