Quel impact sur la fiscalité patrimoniale ? Quelles anticipations ?
Contexte
Un nouveau Gouvernement devrait être nommé dans les semaines à venir, les élections législatives n’ayant pas permis de dégager une majorité absolue.
Le contexte budgétaire est très dégradé (déficit public 2023 de 5,5 %, croissance atone, aucune réforme de l’Etat et de la protection sociale permettant une réduction des dépenses publiques, dette publique de plus de 3 000 milliards en hausse continue et dont le refinancement aux taux d’intérêt actuels entrainera à terme 50 milliards d’euros de charges financières supplémentaires). La France est d’ailleurs sous le coup d’une procédure pour déficit excessif de la part de la Commission européenne.
On ne peut alors qu’anticiper, quelle que soit la composition du nouveau Gouvernement, des mesures fiscales globalement défavorables.
Par ailleurs, des initiatives internationales portées par l’UE et l’OCDE, outre des limitations aux fraudes et optimisations, tendent à hausser les taux de prélèvements obligatoires (taux d’impôt sur les sociétés minimum par exemple).
Ces derniers mois, plusieurs sujets étaient notamment dans le débat public :
la dégradation du taux du PFU (amendement à la loi de finances pour 2023),
l’intégration du régime de location meublée au sein des revenus fonciers réformés en intégrant un amortissement sur 50 ans et l’absence de déduction des charges financières (Rapport du Conseil des prélèvements obligatoires décembre 2023),
le durcissement du régime fiscal des transmissions (Dutreil, démembrement, assurance-vie…) (note n°69 CAE décembre 2021).
Ces sujets pourraient se concrétiser.
Limites Constitutionnelles
Le Conseil constitutionnel a, par sa décision du 29 décembre 2012 ayant censuré de nombreuses dispositions de hausses fiscales jugées confiscatoires, positionné un taux de prélèvement direct cumulé marginal maximal de 65 à 70 % du revenu.
→ Le taux d’imposition marginale à l’impôt sur le revenu de 90 % proposé par le Nouveau Front Populaire est ainsi en principe contraire à la Constitution.
Le Conseil d’Etat (arrêt du 09 mai 2012) et le Conseil constitutionnel (décision du 19 décembre 2013 et 5 décembre 2014) considèrent qu’il n’est également pas possible de remettre en cause des avantages fiscaux, qualifiés de créances ou d’espérances légitimes, contrepartie d’engagements et de contraintes.
→ Ainsi, les réductions d’impôt de type Pinel ne pourraient pas être remises en cause au regard de ces principes.
Nota bene : on relèvera qu’a été rendue publique le 1er décembre 2014 une charte de « nouvelle gouvernance fiscale » émanant du Ministère des finances de l’époque qui pose le principe de « non‐rétroactivité » et « non‐rétrospectivité » en matière fiscale pour les entreprises. Ce document prévoit que les changements de fiscalité n’affecteront plus ni les exercices déjà clos ou les années passées, ni même les exercices ou les années en cours.
On peut néanmoins douter de la réelle valeur de cette charte qui n’engageait au mieux que le Gouvernement de l’époque.
Projections
Pour que les ressources fiscales augmentent de manière significatives, les hausses devraient porter sur des impôts à assiette large comme la TVA et la CSG notamment.
Seules les modalités de cette hausse seront fonction de l’appartenance politique du Gouvernement, avec des impôts plus politisés (progressivité de la CSG pour le NFP, impôt sur le revenu, l’impôt sur la fortune ou les droits de donation et succession) avec de possibles compromis selon sa composition et la nécessité de majorité au Parlement.
Se pose la question de l’application de nouvelles règles à des opérations réalisées en cours d’année 2024, et donc d’une éventuelle anticipation.
En matière d’impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux pour lesquels aucun prélèvement n’est opéré, s’applique la petite rétroactivité fiscale. Un changement de loi en cours d’année s’applique ainsi à l’ensemble des revenus de l’année. Par exemple, il existe une incertitude quant au traitement fiscal d’une plus-value de cession de valeurs mobilières réalisée au premier semestre 2024.
En revanche, lorsque des prélèvements à la source sont réalisés de manière libératoire (PFL à l’impôt sur le revenu, retenue de prélèvements sociaux), les opérations réalisées sont en principe immunisées vis-à-vis d’une hausse ultérieure des impôts concernés.
On relèvera que le PFU actuel est d’une nature très différente du PFL antérieur. S’il y a prélèvement à la source sous forme d’un acompte au taux du PFU, soit 12,8 %, il n’est en rien libératoire (BOFiP-impôts BOI-RPPM-RCM-20-15 n°1). Une hausse pourrait ainsi être subie ultérieurement en cas de disposition en ce sens, prise en cours d’année. Par conséquent, seuls les prélèvements sociaux retenus lors d’une distribution de dividendes ou le versement d’intérêts seraient retenus de façon libératoire.
Les plus-values immobilières et les droits de donation ou de succession voient des prélèvements réalisés selon les dispositions en vigueur lors de leur fait générateur. Elles devraient alors être protégées.
Pour les plus-values en report d’imposition, le principe est que les taux de l’année de l’opération génératrice du différé ne soient pas gelés. En 2016, anticipant une baisse des taux par le retour à un taux proportionnel, la loi a gelé les taux d’imposition de l’année d’apport à une holding pour les reports en cours et à venir, dans le cadre de l’article 150-0B ter du CGI. Il n’est pas impossible que la loi revienne sur ce gel pour permettre l’imposition des reports à des taux supérieurs à celui du PFU.
Indépendamment des règles exposées ci-dessus concernant la rétroactivité, le nouveau gouvernement pourrait décider de créer des taxes exceptionnelles. Pour mémoire, la contribution exceptionnelle sur la fortune avait ainsi permis de neutraliser la baisse du barème de l’ISF 2012 en cours d’année, à la suite de l’élection de François Hollande.
Quelles stratégies en perspective ?
Les stratégies mises en place pour pallier les durcissements antérieurs nous semblent toujours pertinentes au regard des mesures envisagées. Celles-ci reposaient principalement sur :
- La fiscalité professionnelle, notamment l’impôt sur les sociétés, plus stable et supportable que la fiscalité personnelle.
- Le recours au démembrement en étant attentif au paramétrage du fait du contexte inflationniste.
- La capitalisation au sein des sociétés (environnement IS) et enveloppes en bénéficiant de régimes de faveur ou dans l’attente de règles plus favorables.
- Le recours à des comptes courants d’associés dont le remboursement ne constitue pas un revenu imposable.
Attention aux éventuelles restrictions ou innovations à venir pouvant limiter ces stratégies :
A titre d’exemple :
- Le dispositif introduit en 2017, anti cash box, pour limiter l’optimisation du plafonnement de l’impôt sur la fortune, et aujourd’hui codifié au regard de l’IFI au deuxième alinéa du I de l'article 979 du CGI. (BOFiP impôts BOI-PAT-IFI-40-30-20).
- Les procédures d’abus de droit, à l’utilisation limitée, ne devraient pas permettre à l’administration de remettre en cause des stratégies reposant sur le droit civil ou le droit des sociétés en l’absence d’artificialité ou de fictivité.
Nous serons donc particulièrement vigilants aux évolutions législatives futures afin d’assurer l’efficacité et le bien-fondé de ces stratégies.