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Regards d’Experts #6

Regards d’Experts #6 | 3ème trimestre 2023

Veille jurisprudentielle et législative : L’importance de la sémantique dans une donation-partage

Cass. civ. 1., 12 juill. 2023, n°21-20.361 et n°21-23.425, FS-B

Les enjeux liés à la qualification de donation-partage sont importants puisqu'elle permet de fixer la valeur des biens, sans remise en cause ultérieure au moment de la succession. Cela permet ainsi d'éviter la revalorisation des biens et le mécanisme du rapport prenant en compte les donations antérieurement consenties dans la succession, afin de rétablir l’égalité entre les héritiers.

Pour bénéficier de ces avantages, les conditions sont néanmoins strictes et les requalifications en donation simple ne sont pas qu’une chimère juridique. La jurisprudence est venue plusieurs fois préciser les modalités entourant cette opération (Cass, 1re civ., 6 mars 2013, n° 11-21.892 ; Cass. 1re  civ., 20 nov. 2013, n° 12-25.681 ; Cass, 1re civ, 13 février 2019, n°18-11.642).

L’arrêt rendu le 12 juillet 2023 par la Cour de cassation rappelle que le mot composé visé aux articles 1075 et suivants du Code civil nécessite deux opérations pour être juridiquement qualifié : une donation et un partage, en principe réalisés dans un même acte. 

Le donateur, décédé en 2013, laisse pour héritiers sa fille, issue d’une première union, ses deux fils, issus d’une seconde union et sa troisième épouse.

En 1995, anticipant d’éventuelles tensions familiales à venir, il effectue un acte de « donation-partage » par lequel sont attribués des lots égalitaires en valeur : 

  • à sa fille la pleine propriété de quatre biens mobiliers ;
  • à chacun de ses fils la moitié indivise de la nue-propriété d’un bien immobilier ;

En janvier 2008, l’un des fils a cédé à son frère sa quote-part indivise en nue-propriété du bien immobilier.

La succession a cependant entraîné conflits et frustrations, incitant la fille ainée à assigner ses frères et la dernière épouse de son père en partage judiciaire. L’enjeu pour elle était d’obtenir la qualification en donation simple, afin de revaloriser les biens et d’obtenir une part plus conséquente.

La spécificité de l’opération en cause était dans l’attribution de lots indivis et dans l’existence de deux actes distincts, un premier pour la donation et un second pour le partage. 

Rappelons que l’attribution de droits privatifs à certains héritiers et à d'autres de droits indivis ne permet pas de qualifier l’opération de donation-partage. En effet, l’indivision par définition est incompatible avec cette qualification. Néanmoins, le fait pour l’un des frères de racheter la quote-part de l’autre entraine automatiquement le partage. 

Si la donation-partage par actes séparés est peu courante, elle est néanmoins possible (article 1076 du Code civil). La difficulté ici tenait en réalité au fait que même si le défunt avait donné son consentement à la vente en renonçant ainsi à l’action révocatoire et à l’exercice du droit de retour, il n’était pas pour autant à l’initiative de cette opération de partage.

La Cour de cassation confirme le raisonnement de la Cour d’appel et casse et annule la décision uniquement en ce qui concerne la condamnation de la fille héritière à payer des dommages et intérêts à ses frères et à sa belle-mère.

CONSEILS :

  • Ne pas oublier que la qualification donnée à l’acte par les parties ne s’impose pas au juge.
  • Une donation-partage par actes séparés (un acte de donation puis un acte de partage ultérieur) est possible, mais le choix de réaliser deux actes distincts emporte des conséquences fiscales différentes. En effet, en cas d’acte unique, seule la donation, qui constitue la disposition principale de l’acte, est imposée, à l’exclusion du partage qui n’en est qu’une disposition accessoire. La donation-partage n’est donc pas soumise au droit de partage¹. La réalisation par actes séparés de la donation et du partage est néanmoins l’une des exceptions à ce principe. Dans ce cas, le droit de partage de 2,5% sur la valeur des biens donnés est dû en supplément des droits de donation.
  • La requalification en donation simple par la Cour de cassation emporte des conséquences importantes puisque la volonté de stabilité et de prévisibilité du donateur est contrariée. Cela peut s’avérer particulièrement contraignant dans les cas de transmissions d’entreprises dont les valeurs sont souvent particulièrement fluctuantes et où il arrive régulièrement qu’un seul enfant soit repreneur.
  • Afin d’éviter toute situation d’indivision, des solutions alternatives, notamment par une mise en société, sont possibles. Cela nécessitera néanmoins une étude précise de votre situation et un accompagnement spécifique, de sorte à maitriser tous les impacts y compris civils et fiscaux.

 

¹ BOI-ENR-DMTG-20-20-10 § 250


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