Ingénierie Patrimoniale
Ingénierie Patrimoniale | 23-10-2018
Dutreil & location meublée : je t’aime … moi non plus !
Dutreil et location meublée : je t’aime… moi non plus !
Et si le 11 octobre était la date où la relation compliquée entre la location meublée et le dispositif Dutreil avait basculé ?
Plusieurs générations de fiscalistes mis à l’épreuve
Comme les praticiens le savent, la location meublée est d’une nature torturée voire incestueuse.
Une activité juridiquement civile sans conteste, confirmée par la Cour de cassation sans discontinuité depuis 18621 , s’est vue rangée fiscalement dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux depuis une jurisprudence du Conseil d’Etat de 1925. Une franche et célèbre illustration de l’autonomie du droit fiscal, qui au lieu de se borner à appliquer un traitement fiscal à une réalité définie et qualifiée par le droit privé décide de créer ses propres qualifications… Voilà l’origine de ce casse-tête fiscal.
Depuis, à chaque dispositif fiscal favorable en faveur d’une activité commerciale, le praticien doit décider si la location meublée fait partie des élus.
Or, le principe est qu’en l’absence de précision du texte de loi on doive retenir une activité commerciale au sens stricte, soit une activité juridiquement commerciale.
Il faut alors attendre un tempérament administratif qui élargit les activités. Souvent il est fait référence aux activités visées aux articles 34 et 35 du CGI. Or la location meublée était absente de ces articles jusqu’au 1er janvier 2017. Il fallait alors une désignation expresse dans une doctrine administrative opposable (BOFiP ou réponse ministérielle aujourd’hui) de la location meublée pour qu’elle soit éligible de façon certaine au dispositif 2 .
Dutreil : pareil mais en pire
Le dispositif Dutreil3 n’a pas fait exception, bien au contraire. Ce dispositif, introduit en 1999, en vue de favoriser la transmission à titre gratuit des entreprises dont l’avantage est une exonération initialement de 50 %, porté à 75 % il y a plus de 10 ans et pour lequel on parle d’un éventuel passage à 90 %4, l’administration ne commenta de façon un peu explicite ses contours qu’en mars 2012 dans une instruction fiscale5 reprise peu après dans le BOFiP6.
Dans un souci d’économie, l’administration indiquait que l’activité commerciale devait être entendue comme elle l’était en matière d’exonération des professionnels à l’ISF7 . C’est-à-dire par renvoi aux articles 34 et 35 du CGI…où ne figurait pas la location meublée.
S’ensuivirent des querelles doctrinales8, ponctuées d’un contentieux ayant fait l’objet de 3 avis du comité de l’abus de droit.
L’administration poursuivait un redevable ayant invoqué le dispositif Dutreil pour transmettre des logements ayant appartenu au patrimoine privé du donateur et transmis peu après leur transformation en meublé. Pour cela l’administration reconnaissait l’éligibilité de la location meublée au dispositif Dutreil, ce qui permettait d’en invoquer un abus qui non seulement remettait en cause le dispositif mais accompagnait le redressement d’une pénalité de 80 %… Une position bien opportuniste et non opposable pour les autres redevables.
Le comité releva que la loi n’autorisait pas la location meublée à bénéficier du dispositif Dutreil. Et il ajouta que si les commentaires administratifs le permettaient le cas échéant, il ne pouvait être fait un usage abusif d’une doctrine administrative opposable 9 .
Ainsi soit le dispositif n’était pas applicable et donc il n’y a pas d’abus car il s’agit seulement d’une question de qualification, soit il est applicable et l’opération n’est pas abusive.
Depuis 2017 : solide mais encore discuté
Un tournant majeur fut (involontairement ?) opéré par le législateur.
Peu après un article majeur de Pierre Fernoux10 , la location meublée fut intégrée dans l’article 35 du Code général des impôts, rendant ainsi son éligibilité de principe sans conteste à compter du 1er janvier 2017.
Reste qu’être éligible ne suffit pas à être élue. Le dispositif Dutreil est un dispositif multiple dont les conditions d’application varient selon les modalités d’exercice de l’activité.
Si l’entreprise individuelle ne nécessite que la poursuite de l’activité11 , cette dernière doit être réalisée par des donataires héritiers ou légataires et non le donateur. Ce qui complique la tâche en cas de transmission de la nue-propriété… Il faut en outre attendre 2 ans après l’acquisition à titre onéreux des biens pour pouvoir les transmettre sous le régime Dutreil.
La société non soumise à l’impôt sur les sociétés exige qu’une personne exerce son activité professionnelle et principale au sein de la société, ce qui est rarement le cas d’une activité patrimoniale de location meublée, notamment par bail commercial ou mandat de gestion.
Et en cas de société soumise à l’impôt sur les sociétés il suffit qu’un membre de l’engagement collectif, un donataire, héritier ou légataire exerce une fonction de direction mentionnée pour l’exonération des biens professionnels à l’ISF, sans même une condition de rémunération.
Certains ont pu entendre limiter l’éligibilité aux seuls loueurs en meublé professionnels. Il n’y a trace de cette contrainte ni dans la loi, ni dans les commentaires administratifs relatifs au Dutreil. Et quelle définition faudrait-il retenir, celle des revenus ou celle de l’ISF devenu IFI ? Celle des revenus serait contraire aux règles de rattachement de l’ISF et de l’IFI aux droits d’enregistrement.
Une analyse intéressante a pu être développée en s’appuyant sur des commentaires administratifs relatifs aux plus-values professionnelles, précisément à l’application de l’article 151 septies B du CGI12, publiés en avril 2017. L’administration a alors considéré que les logements étaient affectés à l’exploitation et ainsi bénéficiaient du régime lorsque le loueur était professionnel l’année de la cession du logement.
Cette notion d’affectation pouvait sembler entrer en résonnance avec celle d’affectation applicable pour le dispositif Dutreil en présence d’une entreprise individuelle.
Mais on ne doit pas confondre le champ de l’imposition des revenus, notamment des plus-values professionnelles qui, en présence d’une entreprise individuelle, ne concernent que des biens inscrits au bilan, avec celui des droits d’enregistrement où la notion d’inscription au bilan est énoncée comme expressément totalement écartée :
« Les biens affectés à l’exploitation sont les biens nécessaires à l’exercice de la profession. Ce critère est donc indépendant de la présence du bien à l’actif du bilan de l’entreprise. […] il est admis que les biens affectés à l’exploitation, mais non apportés, bénéficient du régime de faveur (par exemple : les terres mises en valeur par une société agricole). »13
Ou encore « Le régime d’imposition (bénéfice réel, régime simplifié, etc.) est sans incidence sur le champ d’application de cette exonération partielle »14 alors qu’en présence d’un régime micro, aucun logement n’est considéré comme affecté par nature et donc soumis aux plus-values professionnelles.
On pourrait également relever l’inapplicabilité de cette transposition à une société soumise à l’impôt sur les sociétés alors que rien ne les exclue du dispositif Dutreil.
La notion d’affectation des plus-values professionnelles doit être comprise au sens de l’article 155 du CGI, c’est-à-dire la suppression des effets fiscaux de la théorie du Bilan15 , dans le même sens que l’a déjà fait l’administration fiscale au sujet de la jouissance gratuite de logement inscrit au Bilan pour laquelle elle a opéré une distinction en LMP et LMNP16.
« Patatra » : dernier épisode : 11 octobre 2018
Alors que l’on pouvait craindre que l’édifice fragile constitué par la doctrine administrative, sur la base de renvois successifs (BOFiP Dutreil=> BOFiP ISF biens professionnels => article 35 du CGI => location meublée) ne soit ébranlé par les commentaires de l’IFI au mois de juin 2018, il n’en fut rien.
Mais alors qu’aucune disposition législative n’a été relevée dans le projet de loi de finances pour 2019 au sujet du dispositif Dutreil et de l’éligibilité de la location meublée, l’administration a décidé à compter du 11 octobre 2018 de considérer les commentaires ISF, y compris ceux relatifs à l’exonération des biens professionnels, comme « retirés ».
Nous ne connaissons pas de situations similaires qui se seraient produites par le passé et qui seraient transposables.
Les principes de l’opposabilité de la doctrine administrative codifiée à l’article L.80 A du livre des procédures fiscales ne peuvent néanmoins qu’inciter à la prudence pour toute transmission à titre gratuit à compter du 11 octobre 2018.
Surtout quand on connait la bienveillance du Président de la République pour l’immobilier et les héritiers…
Le seul moyen de bénéficier d’une protection tous risques redevient alors, comme avant le 1er janvier 2017, de bénéficier d’une réponse expresse, favorable et personnelle à une demande de rescrit fiscal de la part du donateur s’il prend à sa charge les droits, ou du donataire, légataire ou héritier17.
En effet la loi du 12 novembre 2013 habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens et ayant posé le principe selon lequel le silence gardé par l’administration sur une demande vaut accord18 n’a quasiment rien changé aux règles fiscales prévalant antérieurement. L’article L.231-4 du Code des relations entre le public et l’administration disposant que « le silence gardé par l’administration pendant deux mois vaut décision de rejet [ …] 3° Si la demande présente un caractère financier ».
Affaire à suivre…
1– Ce qui explique l’absence d’obligation d’inscription au RCS encore mise en lumière par la QPC du 08 février 2018, la possibilité juridique de réaliser cette activité en SCI sans craindre de corrompre sa forme sociale… etc
2- BOI-PAT-ISF-30-30-10-10 n°30
3- Articles 787 B et C du Code général des impôts
4- Proposition de loi visant à moderniser la transmission d’entreprise – article 8
5- Instruction du 22 mars 2012 BOI 7 G-3-12
6- BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n°10
7- BOI-PAT-ISF-30-30-10-10 n°40
8- F. Douet Location meublée et pacte Dutreil : l’eau civile et l’huile fiscale in Droit fiscal 2015 19-20.301 – François Fruleux Revue de droit fiscal 28 avril 2016 commentaires avis du comité de l’abus de droit 06 novembre 2015.
9- Contredisant par là-même la position officielle de l’administration depuis la réforme de la procédure de l’abus de droit en 2009.
10- Location meublée : L’adoption de la commercialité fiscale, une réforme nécessaire, in La revue de droit fiscal 30 Juin 2016.
11- Article 787 C du CGI – CA Pau 10 janvier 2013 – CA Grenoble 08 septembre 2015
12- BOI-BIC-PVMV-20-40-30 n°210 – BOI-BIC-CHAMP-40-20 n°435
13- BOI-ENR-DMTG-10-20-40-40 n°10
14- BOI-ENR-DMTG-10-20-40-40 n°10
15- BOI-BIC-BASE-90
16- BOI-BIC-CHAMP-40-20 n°59
17- Article L.80 B du Livre des procédures fiscales
18- Article L.231-1 du code des relations entre le public et l’administration