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Expertise Ingénierie Patrimoniale

Regards d'Experts #3 | 3ème trimestre 2022

L’acquisition d’un bien d’usage au sein d’un environnement impôt sur les sociétés : une tentation forte mais risquée !

En présence d’une entreprise disposant d’une bonne santé financière et d’un dirigeant associé souhaitant acquérir une résidence secondaire, il peut être tentant pour ce dernier de procéder à l’acquisition de ce bien au sein de cet environnement en prétextant un investissement patrimonial de l’entreprise (via la holding, une filiale de cette holding ou de la société d’exploitation), évitant ainsi la sortie de trésorerie dans le patrimoine personnel qui serait fiscalisée.

Plus précisément, le schéma se présente généralement comme suit : une entreprise assujettie à l’impôt sur les sociétés (SARL, SAS..) créée une filiale de type société civile (SC) semi-transparente afin d’acquérir un actif immobilier. Ce bien est destiné à être occupé par le dirigeant d’entreprise, quelques semaines par an, à titre gratuit ou en contrepartie de loyers, parfois sous-valorisés eu égard au marché immobilier locatif du lieu de situation géographique du bien. Le financement sera en tout ou partie permis par un compte courant d’associés dont le titulaire est l’entreprise.

Or, comme nous l’expliciterons tout au long de cet article, un tel schéma peut être source de redressement fiscal dans le cadre de vérifications de comptabilité et le cas échéant, entraine des conséquences financières lourdes tant pour la société de capitaux que pour le dirigeant, bénéficiaire du schéma. En outre, le traitement de la cession de l’actif sera également défavorable.

Risques encourus pour l’entreprise : l’acte anormal de gestion

L’acte anormal de gestion est une théorie jurisprudentielle permettant à l’administration fiscale, en cas de contrôle, de remettre en cause la déductibilité d’une charge ou le refus de percevoir une recette, lorsque l’entreprise ne peut prouver avoir agi dans son propre intérêt car l’acte ne lui est pas utile ou les conditions de l’acte lui sont défavorables.

La qualification de l’acte anormal de gestion s’apprécie par l’administration fiscale au cas par cas et la jurisprudence est nombreuse en la matière. Or, il est souvent difficile pour la société de capitaux, d’apporter la preuve de cette contrepartie ou de son intérêt, lorsqu’il s’agit d’une détention d’un actif d’usage en l’absence de versements de loyers ou en cas de loyers sous-valorisés.

Dans un arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Marseille du 31 décembre 2019 [1], la mise à disposition gratuite, d’une villa à Vallauris Golfe-Juan, détenue par une société de droit étranger, au profit de son dirigeant a ainsi été qualifiée d’appauvrissement de la société à des fins étrangères à son intérêt [2].

Dès lors, l’acte anormal de gestion était caractérisé et des recettes fictives correspondant, en l’espèce, à un taux de rendement de 5 % de la valeur vénale du bien ont été réintégrées et taxées à l’impôt sur les sociétés en France.

Plus récemment, par une décision du 22 juillet 2022 [3], le Conseil d’Etat a également confirmé la qualification d’acte anormal de gestion pour une renonciation à la perception de loyers par une société de capitaux, quand bien même cette renonciation à recettes était conforme à l’objet social de la société. En l’espèce, il s’agissait d’une société de droit suisse, qui a mis à la disposition gratuite de son associé, deux appartements situés à Cannes.

Ainsi, pour reprendre l’exemple énoncé dans notre introduction, l’utilisation personnelle d’un actif professionnel, sans contrepartie financière, évaluée au prix de marché ainsi que le paiement par cette dernière d’un emprunt sans lien avec l’activité de la société est susceptible de caractériser un acte anormal de gestion.

Or, dans l’hypothèse où l’administration fiscale apporte la preuve de cet acte anormal de gestion, une revalorisation à la hausse du résultat fiscal sera effectuée par la non prise en compte des dépenses anormales (les échéances de crédit bancaire) ainsi que par l’intégration de loyers fictifs correspondant à la valeur locative réelle, au cours de la période d’imposition considérée, des locaux réservées à cet usage [4].

S’agissant de la détermination de cette valeur locative, il a déjà été admis, dans un autre cas d’espèce, par des juges du fond que celle-ci pouvait correspondre, à un taux de rendement de 4 % de la valeur vénale des immeubles [5].

A cela pourrait également s’ajouter des pénalités pour retard de paiement de l’impôt sur les sociétés voire des pénalités pour manquement délibéré (entrainant une majoration de 40 % du montant de l’impôt) [6].

Risques encourus pour le dirigeant, personne physique : imposition en distribution ou avantages en nature, voire qualification d’un abus de biens sociaux

En contrepartie, les loyers non versés ou sous-valorisés ainsi que les dépenses somptuaires (comme les échéances de crédit) pourraient être requalifiés :

  • en distributions occultes ou irrégulières [7] entrainant une majoration de 25 % de l’assiette [8] en cas d’imposition au PFU et sans possibilité de bénéficier d’un abattement de 40 % en cas d’imposition au barème progressif [9] ;
  • ou en avantages en nature certes déductibles pour la société mais imposables pour le dirigeant dans la catégorie des traitements et salaires (y compris les cotisations sociales afférentes).

Par ailleurs, pénalement, cela pourrait également constituer un délit d’abus de biens sociaux conformément à l’article L.241-3 (pour le gérant d’une SARL) et L.242-6 du Code de commerce (pour les Présidents, Administrateurs et Directeurs Généraux des sociétés anonymes). Ce délit pouvant être sanctionné d’une peine d’emprisonnement de 5 ans ainsi que d’une amende de 375 000 €.

Ce qu’il faut en retenir :

Face aux risques importants auxquels s’exposent tant la société de capitaux que le dirigeant associé bénéficiaire de ce schéma, nous ne pouvons que déconseiller l’acquisition d’un bien d’usage au sein d’une telle société.

En outre, le coût fiscal peut s’avérer onéreux en cas de cession de l’actif immobilier puisque l’éventuelle plus-value de cession imposée à l’impôt sur les sociétés (taux actuellement en vigueur de 25 %) serait augmentée des amortissements pratiquées depuis l’acquisition du bien par la société, et la fiscalité de la distribution, aujourd’hui de 30 %, serait nécessaire pour appréhender les capitaux à titre privé.

De surcroît, en cas de réalisation d’un aléa de la vie couvert par l’assurance de prêt adossé au crédit bancaire, les capitaux remboursés constitueraient un résultat exceptionnel soumis l’impôt sur les sociétés et à la fiscalité de distribution le cas échéant.

Fort de ces différents impacts, en présence d’une trésorerie excédentaire au sein d’une société de capitaux, il sera préférable de privilégier la sortie de ces liquidités, pour constituer un apport personnel destiné à l’acquisition du bien d’usage, indépendamment de l’entreprise.

Dans cette perspective, les solutions permettant l’appréhension de toute ou partie de la trésorerie, par le dirigeant, étant nombreuses, il conviendra de choisir celle la plus adaptée à la situation du dirigeant et à son horizon de projet d’acquisition (augmentation de la rémunération, mise en place d’un plan d’intéressement ou de participation, distribution de dividendes voire réduction de capital afin de réduire le coût de sortie…).

Références :

[1] Cour Administrative d’Appel de Marseille du 31 décembre 2019 n° 18MA04580.

[2] Article 38 et 209 du Code Général des Impôts.

[3] Conseil d’Etat du 22 juillet 2022 n° 444942

[4] BOFiP-BIC-PDSTK-10-10-20-§ 220-10/06/2013

[5] Cour Administrative d’Appel de Marseille du 16 juin 2020 n°19MA00321

[6] Article 1729 du CGI.

[7] Conseil d’Etat du 19 juillet 2011 n°327762.

[8] BOI-BIC-PDSTK-10-10-20

[9] Article 109-1, 1° et art. 111, du Code Général des Impôts.

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