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Expertise Ingénierie Patrimoniale

Regards d'Experts #3 | 3ème trimestre 2022

Veille Jurisprudentielle et Législative

Réserve héréditaire et libéralité en usufruit : un amour tumultueux

Cass.  1ère Civ, 22 juin 2022 n° 20-23.215 FS-B Les libéralités en usufruit sont courantes dans un objectif de protection du conjoint, du partenaire de PACS ou du concubin, encore plus dans un contexte de famille recomposée. Cette gratification peut néanmoins porter atteinte à la réserve dont certains héritiers disposent de la loi. La réserve héréditaire étant impérative, une imputation des libéralités devra donc être effectuée, pouvant conduire à une réduction si celles-ci dépassent la quotité disponible. Dans l’affaire présentée le 22 juin 2022, un homme décède en laissant pour seule héritière réservataire sa fille née d’une précédente union. Il lègue cependant l’usufruit de sa résidence principale à sa partenaire de PACS, via testament. La valeur de ce legs empiétant sur la réserve héréditaire, sa fille demande alors une réduction de ce legs. En l’espèce, la masse successorale* est de 383 000 €. En présence d’un seul enfant, la réserve héréditaire correspond à la moitié de la masse successorale et la quotité disponible à l’autre moitié, soit ici à 191 500 €. La libéralité consentie à la partenaire de PACS porte sur un bien valorisé à 240 000 € en pleine propriété et à 144 000 € en usufruit (valorisation effectuée selon l’âge de l’usufruitière – 60%). Doit-on imputer la libéralité en valeur - ce qui revient à comparer la quotité disponible (191 500 €) à la valeur du bien en usufruit (144 000 €) - ou imputer la libéralité en assiette - ce qui revient à comparer l’usufruit de la quotité disponible (191 500 x 60% = 114 900 €) à la valeur du bien en usufruit- ? L’enjeu est conséquent puisque la première méthode exclue la réduction du legs alors que la seconde la permet. Si la réduction est exclue, la fille du défunt ne pourra pas jouir de sa réserve en pleine propriété. La Cour d’appel retient une imputation en valeur. La Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu en Cour d’appel pour le rejet de la demande en réduction et retient que les libéralités faites en usufruit s’imputent en assiette.
  • Cette solution permet une prise de position claire et une alignement avec la doctrine majoritaire actuelle ;
  • Elle semble être applicable à tout type de libéralités (en nue-propriété ; en pleine propriété ; usufruit viager ; usufruit temporaire ; etc.) ;
  • Elle permet également de renforcer l’intangibilité de la réserve et d’éviter les fluctuations liées à l’évaluation de l’usufruit en fonction de l’âge (barème de l’article 669 CGI fréquemment utilisé bien que non obligatoire ;
  • Elle correspond également à l’esprit des textes (article 912 C.C et 917 CC.) : réserve « libre de charge » ; maintien de l’exécution d’une libéralité en usufruit uniquement si l’héritier y consent ;
  • Certains avancent également l’idée selon laquelle la volonté du défunt serait ainsi mieux respectée (enfant disposant de pleine propriété ; liberté pour le testateur de disposer de la nue-propriété). Nous émettons une réserve sur cet argument. Dans nombre de cas, une libéralité en usufruit au profit d’un partenaire de PACS ou d’un concubin a pour principal objectif de lui permettre de continuer à résider dans le logement du couple, ce qui sera plus difficilement conciliable avec une imputation en assiette.
N.B : S’il est constaté la nécessité d’une réduction, l’exécution de celle-ci se fera néanmoins en valeur.

CONSEILS :

Si l’objectif poursuivi est celui de permettre au partenaire de PACS ou au concubin de continuer à habiter la résidence principale, vous avez la possibilité :
  • De vous marier pour bénéficier de la quotité disponible spéciale entre époux (permettant au conjoint de percevoir 100% de la succession en usufruit) et/ou du droit viager d’habitation en cas d’acquisition commune ;
  • De conclure un bail viager (valable jusqu’au décès du locataire) ;
  • De constituer des sociétés avec démembrement croisé de parts ;
  • D’effectuer une promesse de vente au bénéfice du survivant...
*en cas de libéralités antérieures, on aurait dû en tenir compte via une réunion fictive.

Renonciation tacite au droit de revendication par l'époux de la qualité d'associé

Cass. com, 21 septembre 2022, n° 19-26.203 FS-B La possible association du conjoint est un point d’attention majeur pour le chef d’entreprise marié sous un régime communautaire. La qualité d'associé diffère de la propriété des droits financiers afférents au titre et est reconnue à celui des époux qui fait l'apport ou qui réalise l'acquisition. L’information (voire l’accord) du conjoint commun en bien est cependant indispensable pour toute association au sein d’une société dont les parts sociales sont non négociables (article 1832-2 C.C). L’époux non apporteur dispose ainsi de la faculté de notifier à la société son intention d’être personnellement associé pour la moitié des parts. Lorsqu’il notifie son intention lors de l’apport ou de l’acquisition, l’acceptation ou l’agrément des associés vaut pour les deux époux. Si cette notification est postérieure à l’apport ou à l’acquisition, les clauses d’agréments sont alors opposables au conjoint. Dans l’affaire présentée, deux époux se marient sous le régime légal de la communauté réduite aux acquêts en 1970. L’épouse constitue une SARL en 1990. En 2007, son époux notifie sa volonté d’être associé. N.B : Les statuts de la SARL ne soumettent pas la reconnaissance de la qualité d’associé à un agrément. Essuyant cependant un refus, il assigne alors son épouse et la société aux fins de voir constater cette qualité et d’obtenir la communication de certains documents sociaux. La cour d’appel reconnait la qualité d’associé à l’époux. Elle souligne en outre qu’une renonciation à un droit doit être expresse et non équivoque. La société revendique le droit de l’épouse d’exercer librement sa profession et l’absence de volonté de l’époux de collaborer effectivement à la réalisation de l’objet social. Elle rappelle également que la renonciation à un droit n’est soumise à aucune condition de forme.

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel.

à Elle considère que l’affectio societatis n’est pas une condition de revendication de la qualité d’associé et que l’attribution d’une telle qualité à l’époux n’atteindrait pas les intérêts de l’épouse dans l’exercice de sa profession. à Elle rappelle néanmoins, au visa de l’article 1134 al.1 du code civil (dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016), que la renonciation à un droit peut être tacite dès lors que les circonstances établissent de façon non équivoque la volonté de renoncer. à La question de la notion de « circonstances non équivoques » se pose alors : dans cette affaire, les deux époux ont décidé de séparer leur activité professionnelle en deux branches et via deux SARL distinctes en 1990. En outre, l’époux a attendu la procédure de divorce pour revendiquer sa qualité d’associé. àIl sera néanmoins nécessaire d’apprécier au cas par cas le comportement actif de l’époux. En effet, la renonciation tacite ne se présume pas (Civ. 1re, 28 sept. 2022, n° 21-12.331) et l’absence de revendication ou d’affectio societatis ne suffisent pas à la caractériser.

CONSEILS :

  • ATTENTION - La faculté de revendiquer la qualité d’associé peut être exercée tant que le jugement de divorce n’est pas passé en force de chose jugée ;
  • Malgré la solution de cet arrêt, nous conseillons toujours de demander au conjoint de déclarer par écrit (art. 1832-2 C.Civ) qu’il renonce à revendiquer la qualité d’associé au titre de l’apport effectué. Il ne pourra pas revenir par la suite sur sa décision ;
  • En outre, une rédaction des statuts adaptée à chaque situation, avec une attention toute particulière portée aux clauses d’agréments, est indispensable.
     

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