Expertise Ingénierie Patrimoniale
Regards d'Experts #2 | 2e trimestre 2022
Veille jurisprudentielle et législative
Mise à disposition, à titre gratuit, d’un logement par un parent usufruitier au profit de son enfant nu-propriétaire, quelles conséquences lors de la succession ?
Cass. Civ 1ère , 2 mars 2022 n° 20-21.641 Le rapport successoral (article 843 du code civil) permet de préserver une égalité de traitement quant à la dévolution du patrimoine puisque toutes les donations reçues du défunt, doivent être prises en compte dans le traitement civil de la succession. Des doutes surviennent lorsqu’un avantage indirect est consenti, tel que l’occupation à titre gratuit d’un bien. Pendant plusieurs années, la Cour de cassation considérait que ce type d’avantage était toujours rapportable à la succession. Par quatre arrêts rendus le 18 janvier 2012[1], elle opère néanmoins un revirement en précisant que l’appauvrissement du disposant et l’intention de gratifier sont des éléments indispensables au rapport successoral. Dans l’affaire présentée le 2 mars 2022, un bien immobilier faisait l’objet d’un démembrement entre la mère, usufruitière et ses deux fils, nus-propriétaires. L’un des fils avait occupé à titre gratuit ce bien pendant plus de quarante ans. Au décès de leur mère, le second fils a alors soulevé l’existence d’un avantage indirect et la nécessité d’en tenir compte dans le partage de la succession. Si l’intention libérale n’était pas contestée, l’existence d’un appauvrissement pouvait cependant être discutée puisque le fils occupant avait pris à sa charge l’ensemble des travaux (grosses réparations comprises).
La Cour de cassation effectue une cassation partielle de l’arrêt rendu en Cour d’appel et soulève les points suivants :
- Elle reconnait, comme la Cour d’appel, l’existence d’une dette de rapport en estimant que la défunte était animée d’une intention libérale et qu’elle s’était appauvrie du fait de la non-perception de loyer.
- Elle retient cependant que le montant de l’indemnité de rapport doit correspondre aux loyers qui auraient dû être versés après seule déduction du montant des réparations et frais d’entretien. Le fils occupant ne pouvant donc pas imputer les grosses réparations.
La difficulté, en l’espèce, tient au cumul des devoirs d’un locataire (assimilation de l’occupant à un locataire pour évaluer l’indemnité) et des devoirs liés à la qualité de nu-propriétaire : le nu-propriétaire a, en effet, l’obligation de supporter toutes les grosses réparations.
- Elle refuse d’allouer une indemnité de gestion d’indivision au frère occupant du fait de l’absence de mandat tacite et d’existence d’acte de gestion relatifs à l’indivision.
La difficulté, en l’espèce, tient au cumul du démembrement et de l’indivision. En effet, l’existence d’un mandat tacite aurait pu être reconnu entre les deux frères indivisaires mais la question de droit se posait quant à la relation avec la mère défunte qui n’était, elle, pas concernée par l’indivision. « Il n’existe pas d’indivision entre l’usufruitier et le nu-propriétaire dont les droits sont de nature différente ». Les travaux réalisés n’étaient donc pas des actes de gestion d’indivision mais des dépenses relevant du démembrement.
- Elle refuse également d’allouer une rémunération de l’indivision, du fait, là encore, de l’absence de mandat tacite et de preuves.
Points de vigilance :
- Dans une telle situation, il serait néanmoins possible de demander un partage des frais au(x) co-indivisaire(s).
- L’organisation juridique d’une indivision est indispensable (convention d’indivision, mandat de gestion).
- Il est pertinent de consulter un conseiller patrimonial et juridique lorsque vous êtes confrontés à des situations de démembrement et/ou indivision afin de connaître vos droits et obligations et d’éviter tout conflit ultérieur.