Ingénierie Patrimoniale
Ingénierie Patrimoniale | 27-03-2019
Définition du LMP : l’administration « commente » la décision du Conseil constitutionnel
Définition du LMP : l’administration « commente » la décision du Conseil Constitutionnel
rédigé par Florent BELON – Partner & Responsable Expertise Ingénierie Patrimoniale
Service minimum
Voilà plus d’un an que le Conseil Constitutionnel a rendu une décision au titre d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC)[1]qui a enfoncé un coin dans la définition du loueur en meublé professionnel au sens de l’impôt sur le revenu.
Nous avions alors publié une note afin d’attirer l’attention sur les conséquences directes de cette décision notamment en matière de traitement fiscal et social très pénalisant d’une plus-value de cession réalisée par un ex-LMNP devenu Loueur en Meublé Professionnel malgré lui depuis 2018.
Nous avions espéré une clarification, voire un tempérament, à l’occasion de commentaires administratifs ou de dispositions contenues dans les lois de finances de fin d’année.
De la part de l’administration fiscale, de la Sécurité Sociale des Indépendants (ex-RSI) ou du législateur aucun élément !
Seul le Comité de Coordination des Registres de Commerce et des Sociétés (CCRCS), , a commenté la décision dans un avis[2] qui ne présente toutefois aucun caractère impératif. Mais sans que l’on puisse en tirer des conséquences en termes de prélèvements obligatoires.
A la veille des déclarations de l’impôt sur le revenu, l’administration vient d’intégrer, en date du 20 mars 2019, la décision du Conseil Constitutionnel dans sa documentation administrative, le BOFiP.
Et elle a fait le service minimum…
Loueur en Meublé Professionnel et inscription au RCS
Si la définition du loueur en meublé professionnel a été modifiée suite à la loi de finances pour 2009, et si elle a migré en 2012 dans sa codification de l’article 151 septies, V du Code général des impôts à l’article 155, IV du même code, la condition d’inscription au Registre du Commerce et des Sociétés (RCS) fut toujours requise depuis au moins 1982.
On rappellera que l’activité de loueur en meublé est une activité civile[3] bien que soumise à une imposition dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux[4]. A ce titre la condition d’immatriculation au RCS pour des personnes physiques réalisant une activité civile était bien incongrue… jusqu’à voir l’administration considérer cette condition remplie en cas de refus d’inscription par le greffier ! Et sans compter le non-sens de l’inscription au titre de « loueur en meublé professionnel » alors que les conditions quantitatives nécessaires à cette qualité ne sont connues qu’au 31 décembre de l’année et peuvent alternativement être ou non remplies les années suivantes.
Le Conseil Constitutionnel a ainsi remis de la cohérence en s’appuyant sur la nature civile de l’activité. Mais introduire de la cohérence dans un système aussi peu cohérent que celui de la location meublée peut introduire une grande instabilité et incertitude !
Ceci provient de 2 éléments :
- le Conseil Constitutionnel a limité les effets par sa décision . Il a exclu toute portée à l’égard d’une période antérieure.
Des loueurs en meublé non professionnels deviennent ainsi de jeunes loueurs en meublé professionnels. Ils sont privés en cas de cession de logement :
- du régime des plus-values immobilières des particuliers,
- du bénéfice de l’exonération des petites entreprises codifiée à l’article 151 septies du Code général des impôts, selon l’administration que l’activité ait été exercée sous le statut de professionnel pendant au moins 5 ans.
- le traitement social de la location meublée repose sur des critères fiscaux. Ils sont énoncés par la définition du loueur en meublé professionnel (article L.613-1, 8° du Code de la sécurité sociale)
Une mise à jour sibylline
L’administration se contente d’intégrer au BOFiP la décision du Conseil Constitutionnel. Elle relève qu’elle ne s’applique qu’à compter du 08 février 2018.
Ces éléments sont intégrés sous la référence du caractère professionnel de l’activité[5] et du dispositif de départ en retraite du chef d’entreprise codifié à l’article 151 septies A du Code général des impôts[6]. On relèvera le peu d’intérêt relatif à ce dernier dispositif. Il semble inefficace au regard de cession d’immeubles et de l’absence de fonds de commerce en location meublée…
Suite à la décision, l’administration n’avait pas modifié sa doctrine (exigeant une inscription au RCS) au 31 décembre 2018. Se posait alors la question de son opposabilité au titre de l’article L.80 A du Livre des procédures fiscales. Cette disposition permet de se prévaloir d’une position de l’administration. Notamment lorsqu’elle est contraire au droit, illégale en général, contraire à la Constitution au cas présent.
En cas de modification de la règle de droit, la doctrine administrative rendue à une date antérieure n’est plus opposable : « Un changement de législation a donc pour effet de rendre caduque l’interprétation donnée par l’administration de la loi antérieure dès l’entrée en vigueur de la loi nouvelle (CE, arrêt du 15 mai 1992 n°71854). »[7]
En l’occurrence, la dernière version BOFiP en vigueur au 31 décembre 2018 avait été publiée en date du 05 avril 2017.
Une décision du Conseil Constitutionnel suite à une QPC constitue-t-elle un changement de législation au regard de l’article L.80 A du Livre des procédures fiscales ? Ceci est envisageable mais ce point n’a pas été jugé par le Conseil d’Etat.
Il a été énoncé en 2019 que la décision s’applique à compter du 08 février 2018. L’administration semble valider l’analyse de la perte d’opposabilité en cas de QPC jugeant la disposition contraire aux principes Constitutionnels.
On ne peut que regretter l’absence d’indication de l’administration en 2018. Ainsi, certains loueurs ne désirant pas devenir professionnels ont de faux espoirs.
Autre élément, la date du 08 février. On sait que la qualité de loueurs en meublé professionnel ou non s’apprécie pour l’année civile. La conséquence directe est de considérer l’absence de nécessité d’inscription au RCS à compter de l’année 2018.
La loi de finances pour 2018 avait déjà expurgé la qualification de loueur en meublé professionnel au sens de l’IFI de la condition d’inscription au RCS[8] avec application au 1er janvier 2018 également.
Les conditions cumulatives de la qualité de loueur en meublé professionnel au sens de l’impôt sur le revenu sont donc désormais, appréciées au niveau du foyer fiscal de l’impôt sur le revenu :
- recettes annuelles supérieures à 23 K€ TTC et charges comprises,
- recettes annuelles TTC et charges comprises supérieures aux revenus d’activités et aux pensions et rentes.
Conséquences fiscales
Il apparaît ainsi que les cessions de logements réalisées dès 2018 sont impactées par la décision du Conseil Constitutionnel.
Les comptables vont parfois déclarer prochainement une plus-value professionnelle. Tandis que le notaire aura déjà procédé à une déclaration de plus-value immobilière sur ce même bien avec retenue de la fiscalité sur le prix de vente !
On sera amené à formuler une demande de remboursement de la fiscalité acquittée à ce titre. L’administration a expressément prévu :
« Le contribuable ne sachant pas nécessairement lors de la cession s’il sera considéré, au titre de l’année de cession, comme un loueur en meublé professionnel ou comme un loueur en meublé non professionnel, il pourra être admis que celui-ci soumette la plus-value aux règles qui découlent du statut qui était le sien l’année précédente et, si nécessaire, régularise le montant dû lors de l’imposition des revenus de l’année de cession. »[9]
Nous ne reviendrons pas sur les conséquences souvent très pénalisantes de l’application du régime des plus-values professionnelles en lieu et place des plus-values immobilières des particuliers en raison de la soumission aux cotisations sociales de la plus-value court terme. Le montant des prélèvements obligatoires sera d’autant plus si le loueur subit également de plein fouet l’impôt sur le revenu en l’absence d’exonération au titre de l’article 151 septies du Code général des impôts, faute du respect de la condition d’exercice pendant 5 ans sous la qualité de LMP.
Le bien-fondé de cette exigence est sujet à discussion si l’on considère que la qualité de professionnel est un statut, et non une activité ce qui est seule exigée par la loi. En ce sens, l’administration fiscale reconnait elle-même que le changement de statut ne constitue pas une cessation d’activité et que le traitement fiscal lors de la cession est réalisé comme si le loueur avait toujours eu la qualité attribuée au titre de l’année de cession[10].
La plus-value court terme imposée comme un résultat ordinaire pourrait bénéficier de l’ « année blanche » en 2018, mais le revenu ouvrant droit au crédit d’impôt dit CIMR sera plafonné au revenu BIC le plus élevé des 3 années précédentes[11] et souvent faibles.
Les conséquences en termes de traitement du résultat, hors cession, seront, elles, réduites.
En effet, hors frais d’acquisition constatés en charges, le résultat courant du loueur en meublé, quand il est déficitaire, l’est de façon marginale en raison de la limitation de la déductibilité fiscale des amortissements codifiée à l’article 39 C du Code général des impôts.
Conséquences sociales
Au regard des dispositions du Code de la sécurité sociale concernant l’assujettissement des loueurs en meublé renvoyant aux dispositions fiscales, hors tempérament publié par la SSI, le critère de l’inscription au RCS apparait comme sans objet depuis les revenus 2018.
Il suffira ainsi d’avoir réalisé 23 K€ de recettes[12], saisonnières comme depuis les revenus 2017 ou non, pour se voir assujetti en tant que loueur en meublé exerçant en nom propre (ou société de fait). L’assiette des cotisations sera constituée du résultat (ou du revenu en cas de régime micro) issu de cette exploitation en nom propre (ou société de fait).
Doit-on retenir uniquement les recettes en nom propre (ou société de fait) ? Egalement celles qui correspondent à la quote-part dans des sociétés non soumises à l’impôt sur les sociétés ? Tient-on compte des recettes de l’ensemble du foyer fiscal pour l’assujettissement d’un seul exploitant ?
On relèvera l’absence de circulaire administrative relative à l’assujettissement des loueurs en meublé. Celle-ci aurait pu nous éclairer tant pour la réforme de 2012 que pour celle de 2017. On devra se satisfaire des règles fiscales[13] que l’on transposera du fait du renvoi express réalisé par le Code de la sécurité sociale aux critères de la définition du LMP au sens de l’article 155, IV du Code général des impôts.
Par conséquent, pour l’appréciation du seuil on retiendra bien :
- la quote-part de recettes des sociétés semi-transparentes,
- l’ensemble des recettes du foyer fiscal.
Néanmoins, en cas d’assujettissement en tant qu’exploitant, l’assiette des cotisations sera limitée à l’exploitant et au résultat/revenu de son entreprise individuelle /quote-part de société de fait.
Les règles d’assujettissement en présence de sociétés restent propres aux formes d’exploitation (gérant majoritaire de SARL de famille, associé unique et/ou gérant majoritaire d’EURL, associé de SNC…).
Reste à connaître les réactions des services de la SSI. Alors qu’aucune circulaire officielle n’a été diffusée, que nous n’avons pas connaissance de circulaire interne, et que n’étant pas immatriculés au RCS les loueurs concernés sont de parfaits inconnus pour eux !
Les loueurs saisonniers qui ont dépassé les 23 K€ de recettes en 2017 au titre de cette activité et qui ont réalisé des déclarations auprès de la SSI en 2018 ont, selon les régions, vu la SSI ne pas réaliser d’appels de cotisations. Dans ces conditions doit-on demander l’appel des prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine ?
On sera vigilant quant au formulaire n°2042 C-pro de la prochaine déclaration d’impôt sur le revenu et à ses commentaires administratifs que nous commenterons le moment venu.
Conclusion
Le critère d’assujettissement au RCS en cas d’exploitation en nom propre ou en société de fait, utilisés fréquemment jusqu’alors par les conseils, a donc définitivement disparu.
Il conviendra d’être d’autant plus vigilant sur le choix de la forme d’exploitation, les modalités de cession des logements, les conséquences du décès de l’exploitant.
La décision du Conseil Constitutionnel est juridiquement non contestable. Mais elle ajoute clairement de la complexité dans un régime qui mérite largement le qualificatif de « sac d’embrouilles »[14]. On pourrait ne citer que la question de l’éligibilité de la location meublée au dispositif Dutreil que nous avions commentée en détail à la suite de la mise à jour BOFiP du 11 octobre 2018. On pourrait également relever le présent commentaire, long de cinq pages malgré nos efforts de concision d’une mise à jour administrative de 2 lignes…
Ceci sera-t-il un énième épisode dans ce domaine complexe et instable ou sera-t-il le déclencheur d’une réforme d’une plus grande ampleur, après une décennie de durcissement, allant jusqu’à l’exclusion de la location meublée du régime des bénéfices industriels et commerciaux comme annoncé par les 3 rapports administratifs rendus au cours des deux dernières années et qui sont restés pour l’instant sans conséquences ?[15]
[1] 08 février 2018 N°2017-689
[2] du 23 août 2018 n°2018-005. Cet avis rappelle la nature civile de l’activité en l’absence de prestations de services dénaturant l’activité en une activité hôtelière ou para-hôtelière de nature commerciale. Elle énonce également que les demandes d’immatriculation de loueurs en meublé doivent être refusées et que des demandent de radiation peuvent être réalisées via le formulaire P2CMB. En effet le formulaire P4 est celui d’une cessation d’activité alors qu’il n’en est pas question.
[3] Cass. 30 avril 1862 – Cass. Civ. 3 10 novembre 1993 et 17 février 2015 – Avis CCRCS 1er avril 2008
[4] Avant 2017 en cas d’exercice à titre habituel : Conseil d’Etat 10 juillet 1925 intégré dans la doctrine administrative depuis des décennies dont dans le BOFiP sous la référence BOI-BIC-CHAMP-40-20 n°1 et suivants – article 35 du Code général des impôts dans sa rédaction à compter de 2017 quel que soit le caractère habituel ou non.
[5] BOFiP-impôts BOI-BIC-CHAMP-40-10 n°45
[6] BOFiP-impôts BOI-BIC-PVMV-40-20-20-20 n°80 remarque
[7] BOFiP-impôts BOI-SJ-RES-10-10-10 n°400
[8] Article 975,V 1° du Code général des impôts – BOFiP-impôts BOI-PAT-IFI-30-10-10-10 n°50 et 60 –
[9] BOFiP-impôts BOI-BIC-CHAMP-40-20 n°470
[10] BOFiP-impôts BOI-BIC-CHAMP-40-20 n°450 et suivants
[11] Article 60, II E de la loi de finances pour 2017 – BOFiP-impôts BOI-IR-PAS-50-10-20-20
[12] en cas de début ou de cessation d’activité en cours d’année en rythme annuel comme le prévoit la règle fiscale
[13] BOFiP-impôts BOI-BIC-CHAMP-40-10 n°110 à 140
[14] Qualificatif donné par le regretté et éminent Maurice COZIAN aux sociétés semi-transparentes
[15] Rapport de l’inspection générale des finances en janvier 2017, rapport du conseil des prélèvements obligatoires janvier 2018, rapport CAP 2022 juin 2018